Dernière mise à jour : le 8 juillet 2013

    L’analyse morphologique du réseau hydrographique des Gardons a permis de proposer une méthode d’analyse spatiale de structures linéaires et arborescentes. Toutefois, les mêmes méthodes peuvent servir, par exemple, à l’étude de la morphologie urbaine. Il est vrai que les villes sont des objets géographiques dont la fractalité n’est plus à prouver (Batty et Longley, 1994 ; Frankhauser, 1994 ; Bailly, 1999 ; Bailly, 2002 ; Frankhauser et Pumain, 2001 ; Batty, 2007). Une étude menée sur l’agglomération d’Avignon a permis d’éprouver cette méthode sur un élément surfacique.

8.1. Présentation des données

    Les données de la commune d’Avignon et du Pontet sont issues d’une capture image-écran des cartes disponibles sur le site Mappy en mars 2008. La capture a permis d’obtenir six images de résolutions différentes (Figure 73 et Figure 74). Certaines d’entre elles (images 1 et 2 de la Figure 74) ont évidemment due être capturées par morceaux, ce qui a nécessité de les recoller et a engendré quelques pertes négligeables de pixels. Il s’agit ici d’étudier la limite de la ville en tant que surface à différentes résolutions. Aussi, de toutes les informations contenues sur la carte originale, on peut ne conserver que les contours et la surface de la ville, en noir, et le reste en blanc pour toutes les images (Figure 74). Il est à noter que pour, l’image 1, le réseau intra-urbain apparaît clairement, aussi il a été décidé de l’inclure dans cette image en blanc. Ce choix peut être justifié par la notion d’émergence d’échelle : à cette échelle, on voit ce détail supplémentaire. En effet, à une résolution 3 m, il est difficile de cerner le réseau complet intra-urbain. D’ailleurs, les images aériennes, également disponibles sur Mappy, le montrent bien. Pour ce fait, il a été choisi de ne pas représenter les quelques tronçons visibles. Toutefois, le passage entre l’image 3 et l’image 4 se caractérise par une perte d’information due au changement d’échelle : au nord d’Avignon la zone commerciale du Pontet disparaît à la résolution 25 m.

Numéro de
l'image
Échelle géographique Taille du pixel en mètres
(pour une précision de 10-1 mètres)
1 101 pixels pour 100 mètres 1 pixel pour 1,0 mètres
2 101 pixels pour 300 mètres 1 pixel pour 3,0 mètres
3 101 pixels pour 800 mètres 1 pixel pour 7,9 mètres
4 121 pixels pour 3 000 mètres 1 pixel pour 24,8 mètres
5 101 pixels pour 10 000 mètres 1 pixel pour 99,0 mètres
6 116 pixels pour 40 000 mètres 1 pixel pour 344,8 mètres
Figure 73. Tableau de la résolution des images capturées d'Avignon

Images capturées de <span class='italique'>Mappy</span> traitées pour étudier la morphologie d'Avignon
Figure 74. Images capturées de Mappy traitées pour étudier la morphologie d'Avignon

cf. Film Avignon

    L’étendue considérée concerne, à toutes les résolutions envisagées, l’agglomération d’Avignon et du Pontet.

8.2. Étude fractale des données

    La « succession d’analyses des niveaux d’agrégation et des passages entre ces niveaux aboutit à l’analyse du système d’échelles » (Piron, 1993). Cette citation résume bien l’état d’esprit dans lequel il faut aborder les données morphométriques de la ville d’Avignon.

8.2.1. L'état de la question

    Peu d’analyses fractales de la morphologie urbaine ont considéré une approche réellement multi-résolution. Pourtant, la piste fut lancée par Pierre Frankhauser (1994, p. 130) où, à travers l’exemple de l’agglomération de Berlin, il mesura la dimension fractale à deux résolutions différentes, mais très proches. Il contesta que les dimensions fractales obtenues quelle que soit la méthode utilisée étaient sensiblement différentes. De plus, il note que « sur une carte d’échelle régionale, une ville se présente plus ou moins comme une tache d’encre. Partant du centre on trouve des espaces libres surtout dans la périphérie où la structure déchiquetée donne lieu à des zones libres de plus en plus grandes, si bien que la surface bâtie se dissout en miettes de plus petits habitats. En descendant à une échelle plus détaillée, les grands corridors des voies de transport comme les artères routières et ferroviaires apparaissent. […] Enfin au niveau des quartiers, on découvre encore plus d’espaces libres en forme de squares et de rues qui suivent, eux aussi, à cette échelle un ordre hiérarchique, par exemple pour la largeur des rues, la grandeur des places, etc. Finalement, on pourrait dire que même à l’intérieur des îlots, on découvre des espaces libres encore plus petits, tels que des cours » (Frankhauser, 1994, p. 99-100). Quant au deuxième manuel de référence (Batty et Longley, 1994), il n’évoque même pas la question.

    Avec des données de Mappy, on ne peut pas descendre jusqu’au niveau du bâti. On doit se contenter des îlots urbains, du moins pour l’image 1 où ils sont apparents. Les images 2 à 6 considérant la ville comme un bloc ne sont pas concernés par cette remarque. En effet, les îlots n’apparaissent pas à ces échelles, si on se reporte à la vue aérienne de la carte. Toutefois, Safouk Al Khalifeh (2008) a mené une analyse fractale à une résolution sur le bâti et la végétation d’Avignon et du Pontet. L’analyse présentée ici n’est qu’un complément explicatif aux résultats qu’il avait obtenus.

8.2.2. L'analyse multi-résolution de la ville d'Avignon

    Un calcul de dimension fractale de boîte carrée va être mené sur chacune des images considérées. Le choix de cette méthode s’est imposé de lui-même. Pour des raisons techniques, il est plus facile de programmer sur des images raster ce type de dimension sur Mathematica©Wolfram. Le programme utilisé est une adaptation d’un programme de Laurent Nottale (2008) qui avait servi pour analyser d’autres images comme celles des courbes de niveau des Gardons.

8.2.2.1. Traitement de l'image 1

    L’image 1 présente toutes les caractéristiques du problème issu de la relation entre la grande étendue et la grande résolution. En effet, l’image est trop grande pour être traitée par le logiciel Mathematica. Aussi, il faut la découper. Une partition de 3 000 × 3 000 pixels a été réalisé. Ensuite, on calcule la dimension fractale de boîtes carrées de chaque découpage. Puis, on recompile les données obtenues pour chaque image en les additionnant (Figure 75). La dimension fractale de l’agglomération Avignon - Le Pontet vaut 1,79 à une résolution d’un mètre. Cette procédure implique une perte d’information aux petites échelles, mais sur une image possédant 117 521 140 pixels, cette solution était optimale par rapport à la réflexion menée.

Calcul de la dimension fractale de l'image 1
ln N = (-1,792 ± 0,009)ln ε + (16,661 ± 0,041)
Figure 75. Calcul de la dimension fractale de l'image 1
Intervalle de confiance : 99 %

8.2.2.2. Traitement des images 2 à 6

    Sur les images 2 à 6 (Figure 74), un calcul de dimension de boîtes carrées a été réalisée directement. La technique de calcul est assez simple. Chaque image a été convertie en bitmap monochrome. Dans ce cas, la couleur noire est codée 0, tandis que la couleur blanche est codée 1. Ensuite, avec la méthode de la partie entière, il est extrêmement simple de calculer une dimension fractale par comptage de boîtes carrées. La taille de ces images étant moins volumineuse que la première, le calcul se fait directement.

Chapitre-8_4.gif Chapitre-8_5.gif
ln N = (-1,749 ± 0,010)ln ε + (16,419 ± 0,055)
n°2 : résolution : 1 pixel = 3 m
ln N = (-1,709 ± 0,010)ln ε + (16,093 ± 0,063)
n°3 : résolution : 1 pixel = 8 m
Chapitre-8_8.gif Chapitre-8_9.gif
ln N = (-1,642 ± 0,011)ln ε + (15,609 ± 0,074)
n°4 : résolution : 1 pixel = 25 m
ln N = (-1,569 ± 0,011)ln ε + (15,339 ± 0,082)
n°5 : résolution : 1 pixel = 99 m
Chapitre-8_12.gif
ln N = (-1,533 ± 0,016)ln ε + (13,966 ± 0,120)
n°6 : résolution : 1 pixel = 345 m
Figure 76. Calcul des dimensions fractales des différentes images
Intervalle de confiance : 99 %
Sur chaque graphique, l'axe des abscisses représente le logarithme népérien de la résolution ; l'axe des ordonnées représente le logarithme népérien du nombre de carré contenant une information. La dimension fractale correspond à la pente de la droite estimée en violet.

cf. Film Avignon

8.3. Interprétation des résultats obtenus

    La Figure 77 présente la superposition des six droites de régression obtenues. Pour interpréter correctement ces courbes, il faut rappeler que la gamme d’échelle de la courbe représentant la résolution à 1 m n’est pas complète. Ensuite, il faut remarquer que si elle l’était, on aurait une gamme d’échelle comprise entre les facteurs 1 et 22 000 m. Ce qui signifie que la gamme d’échelle suffisante de 10-4 est atteinte. La courbe représentant la résolution 3 m n’est pas significative de ce point de vue (entre 1 et 7 400 m). Il en va de même pour les quatre autres.

Toutes les courbes estimées
Figure 77. Toutes les courbes estimées

    L’objectif de cette étude est de montrer que la dimension fractale peut être utilisée comme mesure de l’information géographique. Le premier constat que l’on peut faire de l’analyse précédente est que chaque image avec une résolution spécifique possède une dimension fractale différent (Figure 75, Figure 76, Figure 78 et Figure 79), ce qui avait été remarqué par Dominique Badariotti (2005) et Gilles Maignant (2007). Cela montre bien que l’irrégularité d’une structure géographique varie en fonction de sa résolution. De plus, la qualité de l’information contenue dans les dimensions fractales est mesurée par leurs écarts-types respectifs. On constate que la qualité de la mesure décroît en même temps que la résolution de manière significative. Dès lors, on peut essayer de rechercher une relation entre la dimension fractale et la résolution. La Figure 80 montre qu’il existe une relation linéaire entre la dimension fractale et le logarithme népérien de la résolution à laquelle elle a été mesurée.

Image Dimension fractale τ Erreur Logarithme de la résolution ln ε
1 1,792 0,009 0,01
2 1,749 0,010 -1,09
3 1,709 0,010 -2,07
4 1,642 0,011 -3,21
5 1,568 0,011 -4,60
6 1,533 0,016 -5,83
Figure 78. Tableau de synthèse des dimensions fractales obtenues en fonction de leur résolution

Graphique de synthèse des résolutions en fonction des dimensions fractales obtenues
Figure 79. Graphique de synthèse des résolutions en fonction des dimensions fractales obtenues

raphique de synthèse représentant des dimensions fractales obtenues en fonction de leur résolution
Figure 80. Graphique de synthèse représentant des dimensions fractales obtenues en fonction de leur résolution
Intervalle de confiance : 99 %

    Ce modèle linéaire (Figure 80) présente une relation hautement significative. En effet, lorsqu’il y a peu de points ; on peut avoir un doute sur la qualité de l’ajustement. On peut alors calculer la variable t de Student de ce dernier. Cette variable correspond à une combinaison du coeffication de corrélation (valant 0,990 ici) et du nombre de variables n.

t = Chapitre-8_19.gif = 111,242 (dans ce cas précis)

Plus t est important, plus la relation est significative, à condition d’associer cette valeur aux différentes tables de probabilité existantes de Student qui donnent le risque d’obtenir cet ajustement par hasard. Ici, la probabilté de trouver une telle relation est inférieure à 10-4.

    à partir d’elle, on peut proposer un exemple pédagogique autour de la notion de « dynamique d’échelle ».

    La dynamique d’échelle repose sur une inversion des variables. La variable explicative devient la dimension fractale variable. La variable expliquée devient le logarithme du nombre de boîtes comptées. Dans ce cadre, le logarithme de la résolution ln ε devient, par analogie aux lois du mouvement, une « vitesse d’échelle » qui correspond à la dérivée première du logarithme du nombre de boîtes comptées par rapport à la dimension fractale variable.

ln ε = Chapitre-8_21.gif = aτ + b

⇔ d ln N = (aτ + b)dτ

⇔ ln N = Chapitre-8_22.gifaτ2 + bτ + c

    Toutes les variables sont ici connues :

Chapitre-8_24.gif

Ainsi, après identification des variables, le logarithme du nombre de boîtes comptées est relié à la dimension fractale de chaque résolution par une relation quadratique (Figure 81). Autrement dit, le nombre de boîtes comptées, à telle ou telle résolution, diverge en fonction de celle-ci de manière exponentielle (Figure 82).

Relation quadratique entre la dimension fractale et le logarithme du nombre de boîtes comptées
ln N = 10,627τ2 – 38,202τ
Figure 81. Relation quadratique entre la dimension fractale et le logarithme du nombre de boîtes comptées

Relation exponentielle entre la dimension fractale et le nombre de boîtes comptées
N = e10,627τ2 – 38,202τ
Figure 82. Relation exponentielle entre la dimension fractale et le nombre de boîtes comptées

    à partir du moment où le nombre de boîtes comptées ne diverge plus, une résolution plus fine n’apportera plus aucune information. Cela signifie que l’on entre dans un domaine non fractal. Ici, la dimension fractale qui fixe cette limite semble être τl > 1,70. Autrement dit, si τ > τl alors le changement d’échelle n’apportera aucune information supplémentaire sur l’objet géographique qu’est Avignon. A contrario, si τ < τl alors le changement d’échelle apportera une information supplémentaire sur l’objet géographique qu’est Avignon. Cela revient donc à dire que l’on peut définir l’existence d’un objet géographique non fractal lorsque τ > τl. De plus, la valeur seuil de 1,70 n’est pas sans rappeler l’analyse effectuée dans le chapitre 7. On retrouve, dans ce cas particulier, avec des données sans bruits, la dimension fractale moyenne des taches urbaines. Néanmoins, à ces résultats, une réserve peut être formulée. Elle concerne la dimension fractale limite. En effet, il n’est pas impossible qu’il en existe une seconde en allant vers les grandes échelles. Ici, l’unité de mesure la plus précise étant le mètre, on s’est arrêté au mètre, mais il n’est pas impossible qu’en descendant vers une unité plus petite, une seconde limite apparaisse.

    Pour conclure, il est bon de préciser que l’analyse menée confirme les résultats de Marie Piron (1993). « Si l’analyse du niveau supérieur rend compte au mieux des mêmes structures […] que celle du niveau inférieur, alors l’analyse du passage entre ces deux niveaux dégage une perte minime d’information due à l’agrégation, mais qui ne bouleverse pas l’organisation des données au niveau le plus fin […] ; dans ce cas, on peut ramener l’étude au niveau supérieur d’agrégation qui conserve alors la stabilité du phénomène observé au niveau inférieur. Si l’analyse du niveau supérieur, en revanche, ne se structure pas comme celle du niveau inférieur, alors l’analyse du passage rend compte d’une même organisation du nuage de points que celle du niveau inférieur […] ; dans ce cas, les analyses aux deux échelles distinctes apportent deux points de vue différents » (Piron, 1993). Le changement d’échelle transforme l’information soit de manière considérable, soit de manière minime, ce qui correspond à la définition littéraire des objets fractals. Grâce à la dimension fractale, on peut visualiser les pertes et les gains d’information de manière relativement simple, ce qui est une solution possible au M.A.U.P. (Modifiable area unit problem).>







    Cette méthode permet de travailler sur l’objet ville définie comme étant une tache urbaine particulière où la ville est définie par le négatif de son réseau intra-urbain. Toutefois, une autre définition est possible : celle où la ville est considéré comme un ensemble de bâtiments plus ou moins organisés. Le non bâti correspond aux rues, aux places, aux cours et aux jardins privés ou publics (Allain, 2005). Le chapitre suivant essayera de répondre à cette question à travers l’exemple de l’agglomération de Montbéliard.











Chapitre 9. Morphologie de l’objet « ville » défini par ses éléments bâtis



Partie 1. Échelles, limites et modèles : la forme en géographie

Partie 3. Morphométrie et analyse spatio-temporelle en géographie

Étude du cas de la répartition des châteaux dans l’espace géohistorique du nord de la France (Picardie et Artois)

Partie 4. étude multi-échelle de la répartition de l’établissement humain sur Terre