Dernière mise à jour : le 17 juillet 2013

    Il serait impensable d’achever la rédaction de cette thèse sans utiliser l’échelle maximale de la géographie, à savoir l’échelle de la Terre elle-même (Maby, 2003), et quel sujet s’y prête le mieux si ce n’est celui de la répartition de la population de notre planète. L’objectif de cette ultime analyse est double. Tout d’abord, il s’agit d’utiliser sur un seul objet géographique l’ensemble des méthodes qui a été proposé tout au long de cette thèse. Ensuite, cette réflexion permettra d’introduire la conclusion générale.

    L’étude de la répartition de la population sur Terre est aussi ancienne que la géographie elle-même. Toutefois, il semble qu’aucune mesure de dimension fractale de cette répartition n’a été envisagée jusqu’à présent.

    Le site Tageo (http://www.tageo.com) permet d’obtenir des données à l’échelle nationale de la répartition de la population dans tous les États, reconnus par l’ONU. On peut donc envisager deux pistes : d’une part, l’étude des lois rang - population urbaine à l’échelle nationale, mais aussi à l’échelle continentale et à l’échelle mondiale ; d’autre part, l’étude multi-scalaire de la répartition spatiale de la population à l’échelle nationale, continentale et mondiale.

    Avant de commencer ces analyses, il est bon, d’une part, de rappeler les différents liens existants entre la géographie et la population, et, d’autre part, de présenter les principaux travaux unissant géographie du peuplement (qui sera spécifiquement étudiée ici) et analyse spatiale.

15.1. Géographie et populations

    La population est « l’ensemble des habitants d’un territoire donné » (Thumerelle, 1996, p. 51) ou « l’ensemble [des] individus disposant d’une structure et d’une dynamique internes propres » (Thumerelle, 1996, p. 51). Autrement dit, « une population n’existe que comme ensemble. Les caractéristiques d’une population sont exclusivement des caractéristiques collectives » (Noin et Thumerelle, 1993, p. 19). La population est donc un objet pluridisciplinaire, par définition, à petite échelle. Il existe de nombreuses disciplines qui construisent cet objet d’étude : la démographie, l’écologie, la biologie, l’histoire, la géographie, etc. (Noin et Thumerelle, 1993). Dans le champ de la géographie, l’étude de la répartition de la population a toujours été un domaine particulier. En effet, c’est par l’intermédiaire de cette entrée que Paul Vidal de la Blache (1922) avait choisi de construire la géographie humaine. Il s’agissait évidemment de répondre à une question non triviale : « Où sont les Hommes sur la Terre ? ». Pour Paul Vidal de la Blache, l’objet d’étude principal est ce qu’il appelle les « établissements humains ». Il en distingue deux : les établissements temporaires et les établissements sédentaires. Il est bien entendu que seuls les établissements sédentaires sont facilement cartographiables. De plus, il propose d’opposer le regroupement humain à l’isolement humain. Les regroupements sont deux types : les villes qui accueillent des habitats agglomérés et concentrés, et les villages qui se définissent par des habitats agglomérés et déconcentrés. Aujourd’hui, les liens entre géographie et population s’articulent à travers deux grandes sous-disciplines (Thumerelle, 1996) : la géographie de la population (la plus étudiée) qui s’occupe des processus et des dynamiques spatiaux contemporains (états actuel et futur de la population), et la géographie du peuplement qui établit les structures spatiales (états passé et actuel de la population), ainsi que leurs causes.

    La géographie de la population a fortement évolué depuis un siècle. Cette transformation est marquée par trois grandes étapes (Noin et Thumerelle, 1993). Tout d’abord, de la fin du XIXe siècle aux années 1950, il s'agissait d'étudier le rapport entre les Hommes et leur milieu physique, milieu expliquant leur répartition. Ensuite, à partir des années 1950, elle s’est rapprochée de la démographie, science du dénombrement de la population humaine. Ce rapprochement se décline en trois grandes sous-disciplines : la géographie démographique qui correspond à  une « utilisation par les géographes des indicateurs démographiques » (David, 2004), la démogéographie qui consiste en « une mise en valeur de la dimension spatiale des faits démographiques » (David, 2004), et la démographie spatiale qui se définit comme un « champ étroit avec des préoccupations proches de celles de la démographie statistique » (Noin et Thumerelle, 1993, p. 5) qui est profondément marquée par l’œuvre de Hervé Le Bras (1993 ; 2000 ; 2005). Enfin, à partir des années 1970, un rapprochement avec la sociologie a été opéré. En effet, celle-ci est désormais perçue comme étant « l’analyse des processus engendrant les configurations géographiques » (Noin et Thumerelle, 1993, p. 5). Ainsi, on est amené à réaliser des études combinant faits sociologiques et faits démographiques pour expliquer la répartition et la mobilité des populations.

    Cependant, cette mobilité est rarement intercontinentale (Le Bras, 1993 ; Baudelle, 2003, p. 186). De ce fait, il existe une certaine forme d’inertie, c’est-à-dire une stationnarité de la population mondiale. C’est ce qu’étudie la géographie du peuplement. Celle-ci a pour objet d’étude la structure, et non la dynamique (Baudelle, 2003). D’abord, elle établit la répartition de la population à la surface de la terre. Ensuite, elle propose des grands facteurs explicatifs autour des concepts d’œkoumène et de foyers de peuplement. Enfin, elle essaye de comprendre les rapports entre dynamique démographique (court terme) et dynamique de peuplement (long terme). Autrement dit, « le thème du peuplement est d’un grand intérêt scientifique mais aussi pédagogique car il permet une approche globale de la géographie humaine, échappant autant à la segmentation habituelle entre branches (géographie rurale, urbaine...) qu’à la division courante entre géographie physique et géographie humaine » (Baudelle, 2003, p. 5).

    Cette quatrième partie s’intéressera à la géographie du peuplement, et non à celle de la population. D’après l’imposante littérature sur le sujet, il existe deux grands facteurs expliquant cette répartition des Hommes : les facteurs physiques et les facteurs historiques (Vidal de la Blache, 1922 ; Noin, 1979 ; George, 1993 ; Baudelle, 2003 ; David, 2004). Les facteurs physiques sont assez simples à établir. Le facteur climatique est plus important, car environ la moitié de la population mondiale habite dans la zone tempérée (George 1993). Toutefois, il n’est pas unique : les reliefs, le réseau hydrographique et les sols jouent également un rôle essentiel. De plus, les facteurs historiques sont tout autant déterminants. Ces deux facteurs combinés permettent de définir d’une part le concept d’œkoumène, et d’autre part celui de foyers de peuplement.

    L’œkoumène est un terme inventé par Max Sorre, comme le rappelle Pierre George (1993, p. 7). Il correspond à l’espace habité, ou habitable par les Hommes (David, 2004). « L’œkoumène est donc l’ensemble des pays où l’humanité vit et procrée » (George, 1993, p. 8).

    « Les principaux foyers de peuplement, si l’on excepte les pays neufs, sont issus d’une occupation humaine proportionnellement dense dans des temps anciens » (Dumont, 2004, p. 271). Autrement dit, les principaux foyers de peuplement renvoient à un concept  qui possède une dimension beaucoup plus historique et qui est étroitement lié à la notion de concentration humaine forte (Vidal de la Blache, 1922). De plus, ces foyers peuvent être considérés comme des « mondes pleins » pour reprendre une expression chère à Pierre Chaunu (1969). Toutefois, ces foyers ont une définition qui fluctue davantage en fonction des auteurs. Néanmoins, la différence ne se joue qu’entre trois ou quatre foyers de population historiques. Ainsi, tous les auteurs s’accordent sur le foyer d’Asie orientale (Japon, Corée(s), Chine orientale et Taïwan), sur celui du subcontinent indien (Inde, Pakistan, Bangladesh, Népal, Bhoutan) et sur celui d’Europe matérialisé par une dorsale bien connue entre Londres et Milan en passant par Bruxelles et le bassin industriel de la Ruhr (Baudelle, 2003 ; David, 2004). à cette liste, certains ajoutent le foyer nord-américain autour de la région des Grands Lacs (Noin, 1979 ; George, 1993 ; Dumont, 2004 ; Guillon et Sztokman, 2008). Autour de ces foyers principaux gravitent des foyers secondaires : le golfe de Guinée en allant de la Côte-d’Ivoire au Nigeria ; l’archipel indonésien autour de Java en incluant l’Indochine, le croissant fertile en allant du Nil au Proche-Orient, le Mexique central, la Cordillères des Andes, le Rio de la Plata, les Caraïbes, le Maghreb, le rift et les Grands Lacs africains, le Moyen-Orient autour de la Mésopotamie et l’Australie orientale avec la Nouvelle-Zélande et les îles Fiji (Noin, 1979 ; David, 2004 ; Dumont, 2004 ; Guillon et Sztokman, 2008). Autrement dit, pour certains auteurs, le foyer nord-américain n’est qu’un foyer secondaire.

    Pour conclure, on peut rappeler que « ce n’est pas à la façon d’une nappe d’huile envahissant régulièrement la surface terrestre que l’humanité en a pris possession solide et durable. Des intervalles vides ont persisté longtemps, persistent encore en partie, à maintenir la séparation des groupes. Ceux-ci obéissent à une loi de nécessité en se séparant, en s’écartant les uns des autres » (Vidal de la Blache, 1922, p. 68-69). Même si, de nos jours, on circule beaucoup plus facilement et beaucoup plus rapidement qu’à l’époque de Paul Vidal de la Blache, l’inertie des foyers de peuplement est toujours d’actualité. à l’échelle mondiale, on constate toujours des concentrations et des déconcentrations humaines (cf. chapitre 16), c’est-à-dire des « terres vides » et des « terres pleines » pour reprendre les expressions de Pierre-Jean Thumerelle (1996), mais Pierre George (1993), par exemple, souligne un problème majeur autour de cette notion de concentration. En effet, une population peut être concentrée un niveau local (cf. chapitre 17), et déconcentrée à un niveau beaucoup plus global (cf. chapitres 16 et 17). Il existe donc un problème d’articulation entre les échelles, donc un problème de fractalité. Il est vrai que « parler de concentration ou de dispersion de la population n’a de sens que pour une échelle donnée d’observation » (Le Bras, 1993, p. 115). Autrement dit, le problème concentration-déconcentration est de même nature que le questionnement entre le vide et le plein d’une ville (cf. chapitre 9). La géographie du peuplement peut alors se construire autour d’objets et d’analyses fractals.

15.2. Géographie du peuplement et analyse fractale

    Le vide et le plein en géographie du peuplement sont souvent associés aux différentes notions gravitant autour de la description des objets célestes, et ce dès Paul Vidal de la Blache (1922, p. 71).  En effet, « le peuplement de la terre surprend tout autant par son irrégularité que par sa discontinuité. Les cartes par points de la distribution spatiale de la population n’évoquent-elles pas celle du ciel ? Ici une étoile isolée, là un semis d’étoiles, ailleurs des nébuleuses, et surtout des vides, des vides à l’intérieur des constellations, des vides immenses entre les constellations » (Thumerelle, 1996, p. 54). Autrement dit, Pierre-Jean Thumerelle décrit la structure fractale intrinsèque du peuplement à l’échelle planétaire. La géographie du peuplement ne peut donc s’étudier qu’à travers des niveaux géographiques (George, 1993 ; Thumerelle, 1996).

    Pierre George (1993) en identifie trois essentiels : le niveau continental, le niveau étatique et le niveau local autour des relations ville-campagne. Pour Pierre-Jean Thumerelle, « l’emboîtement des échelons géographiques ne doit pas faire illusion, nul ne peut faire abstraction des seuils spatiaux, le changement d’échelle n’entraînant pas un effet de zoom. Autrement dit, on ne saurait sans risque déduire d’observations à micro-échelle des principes que l’on retrouverait à macro-échelle. Les mêmes phénomènes ne se manifestent ni avec la même intensité ni de la même manière, selon le niveau territorial auquel on se situe, et les inerties ne sont pas les mêmes » (Thumerelle, 1996, p. 61). Il est donc plus prudent que Pierre George, car il refuse de définir des niveaux caractéristiques. C’est également le cas de Guy Baudelle qui propose explicitement de construire une géographie du peuplement basée sur la nature fractale de celle-ci. « Les hommes sont en effet presque tout et le peuplement est discontinu à toutes les échelles » (Baudelle, 2003, p. 31).

    Celui qui a plus étudié les échelles de la population, est Hervé Le Bras (1993 ; 2000). Il montre que les grandes échelles géographiques sont moins stables que les petites, ce qui se comprend très bien. Les niveaux planétaire et continental sont stables, même si la mobilité est forte (Le Bras, 1993, p. 10). Le niveau étatique l’est tout autant, si l’on prend l’exemple de la France, les quatre grands foyers de peuplement ont toujours été depuis, au moins, le Moyen âge : Paris, Lyon, le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, et Marseille (Le Bras, 1993). Ainsi, « Globalement la stabilité l’emporte nettement. La persistance de la configuration spatiale et hiérarchique du peuplement est même une caractéristique majeure, malgré des bouleversements tels que l’accroissement considérable de la population mondiale ou le passage d’une économie agricole à une économie industrielle : dans le monde développé, les plus grandes villes d’aujourd’hui était déjà les plus grandes avant la révolution industrielle » (Baudelle, 2003, p. 186). Finalement, seuls les niveaux très locaux sont instables.

    Si l’on reprend, la position de Pierre-Jean Thumerelle (1996) au sujet des vides et des pleins, on constate un accord avec l’opinion d’Olivier David (2004) qui remarque qu’il n’existe aucun vide absolu, même parmi les déserts humains connus qu’ils soient blancs, secs, verts ou d’altitude (Baudelle, 2003). Le concept d’œkoumène qui peut être identifié « au plein », est donc fractal, dans la mesure où il dépend d’une échelle de référence. De ce fait, « un simple changement d’échelle spatio-temporelle d’observation suffit souvent à mettre l’accent sur les permanences ou au contraire sur les changements et fait converger ou diverger des facteurs explicatifs de toutes origines » (Thumerelle, 1996, p. 50). Il en va de même pour le concept de foyer de peuplement, car une nouvelle fois, le vide domine et structure le plein. En reprenant la description de Daniel Noin (1979, Chapitre 5), il est possible d’établir les vides et les pleins de la planète. C’est d’ailleurs ce portrait qui sera retenu pour le chapitre 17. Daniel Noin décompose le monde en quatre zones : l’Eurasie, l’Amérique, l’Afrique et l’Océanie. Pour l’Eurasie, les vides correspondent à la toundra, la taïga, le désert de Gobi, le plateau du Tibet, le Tian-Chan, l’Altaï et Bornéo. Pour l’Amérique, les vides sont plus nombreux : le Canada, le Groenland, les Rocheuses, l’Amazonie, la Patagonie et les Andes méridionales. Pour l’Afrique, la population est beaucoup moins concentrée ; seuls deux vides sont notables : le Sahara et le Kalahari. Pour l’Océanie, on peut prétendre que le vide est omniprésent par l’intermédiaire notamment de la Nouvelle-Guinée et le Bush australien, ainsi que de nombreuses îles inhabitées.







    Pour cette analyse, trois niveaux, liés à la nature des données de la base utilisée, sont retenus : le niveau planétaire (cf. chapitre 16), le niveau continental (cf. chapitre 17) et le niveau étatique (cf. chapitre 17), l’objectif étant de montrer que « dans la morphologie du peuplement comme dans ses changements à différentes échelles, l’espace est précisément structuré » (Le Bras, 1993, p. 207).











Chapitre 16. Présentation de la base de données Tageo

Chapitre 17. Structure multi-échelle de la répartition de la population



Partie 1. Échelles, limites et modèles : la forme en géographie

Partie 2. Morphométrie en géographie

Partie 3. Morphométrie et analyse spatio-temporelle en géographie

Étude du cas de la répartition des châteaux dans l’espace géohistorique du nord de la France (Picardie et Artois)