Invasions ou migrations, un débat si vieux !
Date de publication : 23/09/2020
Vous souvenez-vous de la notion de « grandes invasions » ? On la voit rapidement au collège en 6e, et en 5e lorsque j’y étais moi-même. On présente souvent les grandes invasions barbares comme un raz-de-marée de peuples germaniques, ou non, qui défilèrent et ravagèrent l’Empire romain, à un tel point que l’Empire romain d’Occident s’effondrât.
Cette image négative est ancrée en France. Les derniers travaux concernant l’Antiquité tardive, et qui datent d’il y a trente ans, ne sont toujours pas intégrés dans les manuels scolaires français. La position historiographique française diverge de celle allemande. Alors que les Français chérissent une expression connotée, les Allemands ou les Anglais préfère une expression plus neutre : « migration des peuples ».
Tout est mauvais dans l’expression « grandes invasions barbares ». « Grandes », l’emploi de cet adjectif qualitatif supposerait qu’il existerait de « petites invasions ». Il est certain que la masse de population mise en mouvement et arrivant dans l’Empire romain était du jamais vu pour ses habitants, mais on sait que des relations existaient entre les Romains et les Barbares. Rappelons que tous les habitants de l’Empire n’étaient pas Romains, mais s’ils le souhaitaient au bout d’un certain nombre d’années dans la Légion, ou d’autres voies juridiques, ils pouvaient le devenir.
« Invasions », l’emploi du terme signifierait que les peuples barbares avaient en tête une stratégie afin de déstabiliser l’Empire romain et d’en prendre le contrôle. Rien n’est moins certain. Les sources laissent entendre que, à la fin de l’année 406 et au début de l’année 407, d’un coup, massivement, des milliers d’individus franchirent le Rhin, gelé nous dit-on, afin d’envahir l’Empire. Si vous avez en tête le top départ de la ruée en Oklahoma aux États-Unis, c’est un peu cette idée-là. « Barbares ! Attention ! Prêts ! Partez ! Pillez ! Détruisez ! Envahissez ! Tuez ! » Dis comme ça c’est ridicule, et pourtant des historiens pensent encore que cela s’est passé comme ça. L’unique peuple qui semble avoir agi de cette façon était les Huns. Chassés de Chine vers le Ier siècle p.-C., ils déferlèrent dans l’Empire à l’est, comme à l’ouest, pour effectivement le piller. Les chroniqueurs de l’époque ne devaient pas distingués les Huns des Germains. C’étaient des étrangers, ils devaient tous être mis dans le même panier. De plus, les sources étaient écrites par des religieux qui voyaient leurs jeunes églises (ou plutôt basiliques à l’époque) pillées, saccagées, voire brûlées. Le traumatisme devait être tel qu’ils le couchèrent sur le papier. J’attire votre attention sur le fait que je ne prétends pas que les sources nous mentent et que de telles exactions n’eurent jamais lieu, je dis simplement qu’il faut faire un effort pour tempérer la lecture de ces précieux témoignages.
En hiver 406, certains peuples germains étaient des présents au sein de l’Empire romain. Le plus connu est le peuple des Gots. J’écris bien Gots sans h. Pourquoi ? Parce que les travaux des linguistiques ont démontré que le « h » ou le « w » (ou la place d’un « v ») était des déformations apportées pour rendre ces mots moins sympathiques, je dirais juste cela pour simplifier ces travaux. Aussi ce texte, contrairement à mes posts précédents, sera écrit la nouvelle graphie. Qui sont-ils ? Les Gots étaient un peuple germain établi en Scandinavie au Ier siècle a-.C., qui, lors de leur venue dans l’Empire romain, se divisèrent en deux branches : les Ostrogots et les Visigots, respectivement les Gots de l’Est et les Gots de l’Ouest. Les Visigots furent les premiers à s’installer dans l’Empire romain en Italie et en Gaule entre la fin du IVe siècle et le début du Ve siècle, à la suite du désastre qu’ils firent subir à l’armée romaine à Andrinople en 378 (dans les Balkans). Les Ostrogots s’installèrent dans les plaines de l’actuelle Hongrie dans le territoire que l’on appelait alors Pannonie.
Pourquoi les Germains se sont-ils mis brusquement en mouvement ? Les causes sont multifactorielles, et le phénomène de migration en est la résultante. Un changement climatique semble s’être opéré dans la plaine germano-polonaise, entraînant, pense-t-on, une montée du niveau de la mer Baltique, forçant les Gots à quitter la Scandinavie. Par effet domino, ce fut l’ensemble des peuples germaniques qui se mirent à bouger. La deuxième cause est certainement de nature démographique. Les Germains de plus en plus nombreux, subissant les changements climatiques, avaient du mal à se nourrir, ce qui nous conduit à la troisième cause. L’Empire romain était perçu par ces peuples comme un territoire puissant, riche et ouvert. « Puissant », l’armée romaine le long du limes impressionnait les Germains. « Riche », Rome n’avait jamais hésité à payer un tribut aux peuples qui la menaçaient directement, et obtenir une somme d’argent négociée était moins risqué que d’envahir un territoire possédant une aussi puissante armée. « Ouvert », les Germains, via l’exemple des Gots, savaient qu’il était possible de s’installer au sein de l’Empire via la technique du foedus et de l’intégration culturelle romaine, la fameuse romanisation, via la langue latine.
Revenons, après cette digression, sur notre analyse principale, et voyons le dernier mot « barbares ». Il signifie que les peuples germains ne parlaient pas la langue de l’empire, c’est-à-dire le latin à l’Ouest, et le grec à l’Est. On peut noter que le terme sera repris par les Arabes avec le terme déformé « berbère » pour désigner les peuples ne parlant pas arabe. Toutefois, nous venons de le voir, les chefs germaniques, du moins, apprenaient le latin dès leur arrivée dans l’Empire afin de s’y intégrer. Certes, des exactions de force eurent certainement lieu, mais les Germains désiraient surtout vivre comme des Romains, profiter sur le long terme des richesses de l’Empire.
Revenons sur les causes des migrations. La quatrième, et qui me semble être la cause déterminante, est l’arrivée en grande trombe des Huns dans la plaine germano-polonaise. On sait peu de choses sur les Huns : quelques traces par les sources romaines, quelques traces archéologiques, mais rien d’autres. Nous n’avons de fait que l’avis des peuples qui subirent leur pression. En 375, les Ostrogots, établis en Pannonie, furent chassés par les Huns. Ils prirent la direction de la péninsule italienne et s’y installèrent. Leur avancée chassa les Visigots qui partirent pour la Gaule ou la péninsule Ibérique entre 410 et 418. Il est probable que la pression hunnique s’exerça également sur les autres peuples germaniques, et au début du Ve siècle, les Vandales, les Burgondes, les Alamans, les Francs, etc. passèrent le limes dans le plus grand désordre. N’importe qui peut comprendre qu’ils fuyaient la guerre. Sans aller jusqu’à parler de réfugiés, comme aujourd’hui, c’est un peu l’idée de base, sauf que les peuples arrivaient massivement. Dans ce désordre, les Vandales, venant du centre de la Germanie, zone contrôlée par les Huns, finirent par s’installer en Afrique du Nord, les Visigots en péninsule ibérique et au sud de la Gaule, les Burgondes entre le Rhône et la Loire, les Alamans dans une petite zone qui couvraient une grande partie de l’Alsace-Lorraine actuelle, et les Francs au nord au niveau de la Belgique romaine. Pour l’instant, seule l’Armorique restait une entité à part en Gaule, ainsi que la plaine parisienne de Lutèce jusqu’à l’embouchure de la Seine.
Le processus de romanisation aurait pu finir par faire son œuvre, et l’Empire romain d’Occident aurait pu survivre, mais les Huns ne l’entendirent pas de cette oreille. Jusque vers le milieu du Ve siècle, ils organisèrent des raids contre l’Empire romain d’Orient, mais ils finirent par attaquer la Gaule. Peut-être espéraient-ils que la fusion entre Germains et Romains n’ayant toujours pas pris, ce serait une proie facile, d’autant que la Gaule était perçue comme un territoire très riche. À partir de 434-435, les Huns attaquèrent par le nord, prirent Coblence, et avancèrent de plus en plus profondément en Gaule. Le 7 avril 451, ils s’emparèrent de la cité de Metz, ce qui leur ouvrirent les portes de Reims, de Chalons et de Troyes. Malheureusement, pour eux, leurs raids unifièrent ces peuples si différents afin de les chasser définitivement. À la tête de la coalition, Aetius (395-454), généralissime de l’Empire romain, dirigea une armée composée de Germains (Francs et Visigots essentiellement) et de Romains ; il commença sa campagne à partir d’Arles. Il finit par remporter une victoire éclatante, la célèbre bataille des Champs Catalauniques, près de Troyes, le 14 juin 451, qui fut la dernière victoire romaine de l’histoire de l’Occident. Attila (vers 395-453) dut se résigner à repartir en Pannonie, puis, à sa mort, les Huns semblent être retournés vers l’Asie centrale.
La défaite des Huns marquait la victoire des peuples germaniques, qui, désormais, faisaient partie de l’Empire. La suite, je vous l’ai, en partie, narrée dans mon texte sur le Regnum francorum, et ceci est une autre histoire.
Pour ouvrir un peu la réflexion, par cette histoire, on comprend assez bien que les débats sur l’immigration et l’intégration des peuples arrivants ne datent pas d’hier. Il est délicat de savoir si le peuple arrivant va nous assimiler, ou si on va assimiler le peuple arrivant. Certains diront que la masse minoritaire des peuples arrivants ne peut suffire pour assimiler un peuple plus nombreux déjà installé. L’exemple des migrations barbares prouve le contraire. Un autre cas plus tardif peut également l’illustrer : l’arrivée des Latins au sein de l’Empire byzantin aux XIe-XIIe siècles. Une poignée de pieds nickelés réussirent à prendre Constantinople en 1204, et y fondèrent un empire latin pendant quelques années. Si nous revenons dans le cas présent, tout État, surtout si c’est un État-nation se doit d’avoir une politique d’immigration cohérente. Je n’entrerai pas davantage dans un débat si polémique, mais aucun territoire n’a intérêt à prôner une politique de type « portes ouvertes », tout comme il n’a aucun intérêt à se fermer totalement. Les Romains, jusqu’au Ve siècle p.-C., avaient réussi à construire un équilibre efficace entre ces deux positions. Pourquoi n’y arriverions-nous pas ? À méditer...
Maxime Forriez.
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