Retour au « réel » : la géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre !
Date de publication : 28/02/2022
« La géographie, ça sert à faire la guerre » est une phrase assez difficile à attribuer. Il semble que ce soit davantage un adage qu’une citation. Néanmoins, certains l’attribuent, et je n’ai jamais vérifié, à Paul Valéry (1871-1945). Ce post fait évidemment écho à la situation ukrainienne. Vladimir Poutine est en train de nous rappeler que : (1) la géopolitique n’est pas morte en 1991, ce qui est contraire à la thèse de Francis Fukuyama (né en 1952) ; (2) Yves Lacoste (né en 1929), tant décrié dans la communauté des géographes pour son livre La géographie, ça sert, d’abord, à faire la guerre (1976), avait raison.
Depuis l’arrivée des thèses néo-libérales dans les pays occidentaux, nous avons assisté à des positions absurdes et délirantes. Puisque le néo-libéralisme avait vaincu l’U.R.S.S., c’était forcément la meilleure des idéologies. Francis Fukuyama se fonde sur cet état de fait pour expliquer pourquoi, selon lui, nous assistons à la fin de l’Histoire dans les années 1990. Cette fin de l’Histoire implique une fin de la géopolitique qui s’est manifestée par l’abandon des relations internationales par les États. D’un monde où les États étaient maîtres du jeu diplomatique, on est passé à un monde où ce sont les grandes multinationales qui les dominent, avec un soutien implicite des États, qui se sont peu à peu retirés du jeu de leur propre volonté. Bref, entre les années 1990 et les années 2020, ils ont laissé faire le processus de globalisation des échanges à l’échelle de la planète, interconnectant tous les États du monde entre eux comme jamais. L’idée était de limiter les conflits via le "réel" économique. Il n’y aurait plus de guerres de masse comme au XXe siècle, parce que l’économie des peuples serait perturbée. Vous le savez, une telle position a été contredite par une multitude de conflits locaux sur toute la planète, sauf en Europe et en Amérique, le cœur battant de l’école néo-libérale. Ainsi, beaucoup d’Occidentaux, épargnés par des conflits territoriaux, se mirent à croire en leur rêve.
Qui dit rêve, dit être endormi ! Souvent, le rêve est difficile. C’est ce à quoi nous assistons aujourd’hui. Vladimir Poutine impose un retour aux fondamentaux de la politique internationale, à savoir la géopolitique. En France, la géopolitique, comme je l’ai rappelé, est une discipline controversée depuis la publication du livre d’Yves Lacoste. Il s’agit d’une discipline non identifiée qui est tantôt rattachée à la géographie, tantôt à la science politique. Pourtant, par son objet, il ne fait aucun doute que la géopolitique fasse partie de la géographie, car il s’agit bien d’une science humaine, et non d’une science sociale, par son aspect totalisant.
La géopolitique explique qu’il doit exister un équilibre implicite entre les tenants politiques (interne), les tenants économiques, les tenants sociologiques, les tenants démographiques et les tenants géographiques à proprement dit. L’ensemble de ces cinq tenants permet de construire une géopolitique, c’est-à-dire de constituer la puissance réelle d’un État, au sens de Jean-Baptiste Duroselle (1917-1994), par rapport aux autres.
Le tenant géographique introduit une notion temporelle, donc fait appel à l’Histoire. C’est le point le plus important dans l’attaque de l’Ukraine. L’Histoire apporte plusieurs aspects permettant de caractériser un peuple, et de justifier son existence ou son inexistence géographique. À partir de là, émergent des notions culturelles caractérisant ce peuple, et souvent portées par une langue qui lui est propre. Toutefois, l’existence d’un peuple ne justifie en rien le fait qu’il ait droit de disposer d’un territoire propre, pensez aux Kurdes, aux Juifs avant la création d’Israël, etc. Cela est important, car il peut exister un décalage entre les territoires et les peuples, entre l’Histoire et la Géographie. C’est pour cela que, dans le cadre de la géopolitique, la géographie est première. Dans le cas de l’Ukraine, Vladimir Poutine justifie son invasion, car c’est le berceau de la Rus’ de Kiev, car plusieurs territoires clairement identifiés comme étant russes ont été donnés à l’Ukraine pendant la période soviétique, et perdus en 1991 lors de l’indépendance de l’Ukraine, et, de fait, plusieurs communautés russophones sont prêtes à accueillir les troupes de Russie. Le poids de l’Histoire dans les relations internationales est rappelé par Vladimir Poutine. Le passé n’est pas le passé, il laisse des traces indélébiles qui influencent les relations internationales actuelles. En suivant les thèses de Francis Fukuyama, les Occidentaux ont perdu toute conscience du poids de l’Histoire, et sont incapables comme l’a montré la désastreuse prestation de Bernard-Henri Lévy sur LCI, il y a quelques jours, qui mélangeait sans vergogne la Rus’ de Kiev avec l’Ukraine, illustrant une nouvelle fois son ignorance la plus totale. Néanmoins, si l’Ukraine intéresse Vladimir Poutine, c’est également parce qu’elle peut servir de point d’appui vers d’autres conquêtes. En effet, du fait de l’immensité de son territoire et de l’importance de ses ressources naturelles, la Russie peut potentiellement vivre en autarcie et subir un sévère embargo sans que cela n’ait de grandes conséquences pour le quotidien des Russes. Toutefois, elle lui manque quelque chose, un grenier à blé pour nourrir sa population. Si l’invasion réussie, Vladimir Poutine aura ce grenier. Il pourra vivre en autarcie sans problème. Voilà pourquoi il faut stopper l’invasion, voilà pourquoi il faut agir militairement en Ukraine, qu’elle fasse partie de l’OTAN ou non. Les Occidentaux se réfugient derrière le droit dans un moment où il faudrait l’oublier et agir militairement...
Les tenants économiques ont été mis en avant depuis trente ans comme étant l’unique réel géopolitique, ce qui était absurde ! Seul un équilibre délicat entre les cinq tenants de la géopolitique assure une géopolitique efficace. À quoi assiste-t-on aujourd’hui ? Simplement à l’application de cette soi-disant surpuissance économique pour sanctionner la Russie ! En analysant rapidement les tenants géographiques de base, on s’aperçoit que c’est idiot. Aucune sanction économique ne pourra mettre à genou la Russie. Elle mettra peut-être la Russie en légère difficulté, mais, si Vladimir Poutine a dans l’idée de soumettre les peuples slaves, cela ne l’empêchera pas, lui ou son successeur, de poursuivre le plan de conquête de l’Europe de l’est, d’autant plus que la Russie et la Chine semblent s’être alliées (je n’ai pas encore vérifié si l’on connaît la nature exacte de leurs accords). De fait, si cette alliance est réelle, quand prendra-t-on des mesures contre la Chine ? Ah oui ! On ne peut pas parce que, comme des idiots, on a laissé au nom de la doctrine néo-libérale partir nos usines dans le plus puissant pays communiste de la planète. Nous sommes tombés dans le piège de la Chine qui voulait affaiblir l’Occident en utilisant ses contradictions économiques et politiques internes.
Je vous laisse réfléchir sur les tenants sociologiques, politiques internes et démographiques. Je pense que vous comprendrez à quel point l’Occident est actuellement bien faible pour faire face à des Russes ou des Chinois ayant conservé un sens du bien commun, du bien collectif. Par exemple, la lutte individualiste des communautés LGBTQ+ est la preuve de notre faiblesse idéologique. Comment voulez-vous opposer un tel individualisme à une idéologie permettant de regrouper la majorité des Russes, voire des Chinois, si leur alliance se concrétise ?
J’espère que ce parti pris vous aura intéressé. Si vous voulez compléter, nuancer, voire proposer des contre-propositions, n’hésitez pas à le faire poliment en commentaires, car, est-il utile de le rappeler, même si je me fonde en bon tenant des sciences humaines sur des faits, leur interprétation est bien évidemment personnelle.
Maxime Forriez.
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