Le Moyen Âge a-t-il existé ?
Date de publication : 18/09/2020
Pour finir la semaine, je vais parler du problème majeur de tout en chacun : comment périodiser les événements passés ? À un moment donné de sa vie, on a tous besoin de faire le point et de rationaliser, un minimum, les événements que l’on a vécus. Si vous êtes en recherche d’emploi, vous devez faire un C.V., n’est-ce pas ? Cet exercice aussi futile qu’idiot soit-il, du moins le pense-t-on lorsqu’on est devant sa feuille blanche, n’est pas si évident que cela. Qu’est-ce d’autre que de rationaliser son passé ? donner un sens à sa vie ? C’est un exercice difficile, car, la plupart du temps, on ne fait que subir les événements, et trouver une logique dans ce qui nous est arrivé est une gageure. Rassurez-vous il en est de même avec les événements historiques !
Nous avons tous appris que l’histoire française - eh oui d’autres cultures n’ont pas la même découpe - se décompose en quatre périodes : l’Antiquité, le Moyen Âge, les Temps modernes et l’Histoire contemporaine. Pour découper ces quatre périodes, il fallut trouver des événements majeurs. L’Antiquité s’étend de la naissance de l’écriture (vers 3300 a.-C.) jusque la chute de l’Empire romain d’Occident en 476. Le Moyen Âge, en comparaison, est beaucoup plus court puisqu’il s’arrête, en 1492, lors de la « découverte » de l’Amérique. Les Temps modernes trouvent leur fin à la Révolution française de 1789, tandis que nous sommes toujours dans la période contemporaine.
Le souci est que plus on étudie l’Histoire, plus on se rend compte que ce découpage est purement académique, et qu’il n’a aucun sens. Par paresse intellectuelle, par académisme, on le conserve, mais toute personne ayant une bonne culture historique sait que cette périodisation est stupide. Je vais essayer de vous en donner quelques éléments.
476, le roi des Ostrogoths, Odoacre (vers 433-493), déposa le dernier empereur romain d’Occident, Romulus Augustus (vers 461-?). Pour tout dire, le dernier empereur disparut des sources, ce qui signifie qu’on ignore totalement si Odoacre le tua, l’emprisonna, l’exila, etc. Par contre, ce que l’on sait est que cet événement passa totalement inaperçu dans les sources qui nous sont parvenues. Peut-on parler de « rupture » alors que les contemporains eux-mêmes s’en moquaient ? Par ailleurs, les sources archéologiques ne montrent aucune rupture entre l’Antiquité et le Moyen Âge avant la « révolution castrale » des XIe-XIIe siècles. Le Haut Moyen Âge occidental, c’est la civilisation romaine qui continuait sans empereur. Ainsi, beaucoup d’historiens ont proposé la notion d’Antiquité tardive qui englobe le Bas-Empire romain jusque un événement marquant du Haut Moyen Âge (je n’en citerais aucun, car le débat est toujours vif chez les historiens). Voilà, la première rupture n’en est pas une. Il s’agit d’un événement important, mais pas plus que les autres événements de l’Antiquité tardive.
Le nom même du Moyen Âge est péjoratif. Entre l’Antiquité et la Renaissance (de l’Antiquité), il y aurait une période médiocre dans laquelle rien d’intéressant ne s’est passé. Soyons sérieux ! Le Moyen Âge n’est pas une période plus violente que l’Antiquité, au contraire, elle l’est beaucoup moins par certains aspects de la vie sociale qui s’était mise en place autour du Christianisme. Il n’a jamais perdu les textes antiques. Tous les monastères copiaient les œuvres d’Aristote, de Tacite, de Tite-Live, etc. Si tous ces textes sont connus aujourd’hui, c’est grâce aux parchemins du Moyen Âge. Il y aurait beaucoup à dire sur la revalorisation de cette période, donc je vais m’arrêter là dans ma liste à la Prévert.
1492, là nous pouvons nous dire, « c’est un événement majeur ». Vous vous trompez. Contrairement à ce que laissent croire les manuels scolaires, Christophe Colomb (1451-1506) n’était pas partie par hasard vers l’est. Il savait qu’il y avait une terre au-delà de l’Atlantique. Il pensait que c’était l’Inde, l’a pensé jusqu’à sa mort, semble-t-il, petite erreur. Comment le savait-il ? Grâce aux textes antiques, toute personne cultivée de cette époque savait que la Terre était ronde (je rappelle que l’hérésie n’était pas dire qu’elle l’était, mais qu’elle n’était pas au centre de l’univers). Tout ce monde avait en tête les récits du Vinland des Vikings. Bref, on savait. Le meilleur exemple est que le partage du Nouveau-Monde entre les Portugais et les Espagnols fut décidé en Europe avant le départ des navires.
Un argument est qu’il n’y a pas de rupture majeure dans la société, dans son fonctionnement, entre le Moyen Âge et les Temps modernes. La stratégie des rois de France pour dompter les féodaux et imposer leur vision de l’État centralisé se poursuivit jusque Louis XIV (1638-1715). Il a d’autres arguments pour justifier l’absurdité de cette date. D’ailleurs, certains historiens considèrent que la chute de Constantinople le 29 mai 1453 est une meilleure rupture, simplement parce que l’on commence la période par la chute de l’empire d’Occident et que l’on finit par la chute de l’empire d’Orient.
1789, une rupture ? En réalité, une dernière fois, non ! Il n’y a pas de changements majeurs entre avant la prise de la Bastille et après la prise de la Bastille. Rappelons-le que les réformes révolutionnaires avaient déjà été emprises par Louis XV (1710-1774), certes moins en profondeur, mais tout de même, ça reste l’initiateur, et que son petit-fils, Louis XVI (1754-1793) avait jugé bon de revenir sur les réformes de son grand-père, et ça lui coûta sa tête... Un autre argument est de rappeler que, pour l’historiographie anglaise, par exemple, nous sommes toujours dans les Temps modernes. 1789 n’est qu’un événement majeur pour la France, et juste pour la France. Ce n’est pas un événement « neutre » comme la chute d’un empire ou la découverte d’un nouveau continent. Est-ce une rupture ? Aucune évolution sociale majeure n’a pu être déterminée. Toutes les transformations ne sont que la continuité logique des Temps modernes. L’État central actuel n’est que la poursuite de l’œuvre des rois de France.
Si la Christianisation de l’Europe marque la différence entre l’Antiquité européenne et le Moyen Âge européen, la fin de ce dernier est loin d’être aussi évidente. Pour moi, nous sommes toujours au Moyen Âge, les Temps modernes et l’Histoire contemporaine n’existent pas. Cela étant, la déchristianisation du monde actuel tend à prouver que nous sommes dans une période transitoire, et que nous pointons vers autre chose. La fin de l’espèce humaine, la fin de la vie sur Terre, que sais-je ? les problèmes contemporains montrant une transition majeure et profonde, aussi profonde que l’Antique tardive, sont si nombreux...
Voilà, c’est fini ! C’est le propre de l’épistémologie : si vous quittez ce texte en vous posant plus de questions qu’avant de le lire, c’est qu’il a agi sur vous tel qu’il devait le faire. Beaucoup de questions n’ont pas de réponses tranchées. Alors lorsque vous galérez à écrire l’histoire de votre vie, pensez que l’histoire de l’Humanité est tout aussi irrationnelle que votre histoire...
Maxime Forriez.
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