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La Prohibition et Saint-Pierre-et-Miquelon, exemple d’une rente de position

Date de publication : 07/12/2020

Voilà une histoire fascinante ! Saint-Pierre-et-Miquelon, terre française perdue en Amérique du Nord, pile entre le Canada et les États-Unis, ne fut jamais aussi dérangeante pour les Nord-Américains que pendant la période de la Prohibition. L’archipel était le seul territoire dans lequel ils pouvaient acheter de l’alcool, et du bon, puisqu’il venait de France. Il est vrai que, au sud, Mexique et îles caribéennes, sauf les îles états-uniennes, bénéficiaient de ce même privilège, mais le danger était plus maîtrisable par rapport à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Le Canada Temperance Act fut voté le 1er avril 1918, sympa comme blague, non ? Cela étant, dans le cas canadien, chaque État fédéré décidait de son application. Ce n’était pas une loi fédérale comme aux États-Unis. De leur côté, ces derniers votèrent le Volstead Act le 28 octobre 1919. L’idée de la Prohibition était de mettre un terme aux méfaits de l’alcool ; la population nord-américaine ayant une réputation d’ivrognes. Toutefois, toute bonne idée a ses limites. Dans ce cadre, ce fut le développement des gangs qui trafiquaient de l’alcool. Rappelons-le, il est plus facile de fabriquer de l’alcool que de la cocaïne... Néanmoins, cet alcool frelaté ne convenait pas à toute la population, les plus aisés recherchaient des alcools de qualité, et ce fut là qu’entra en scène Saint-Pierre-et-Miquelon.

La plus vieille colonie française (1563), reliquat de l’immense empire nord-américain français, vivotait par rapport à ses deux voisins devenus des géants. Elle avait pour principale activité la pêche, notamment à la morue. La Prohibition lui donna l’occasion d’exploiter intelligemment sa position charnière. Elle organisa ainsi un trafic illégal et clandestin d’alcool, et ce, en toute impunité, puisque l’administration française ferma les yeux. À l’instar des Bahamas, des Bermudes et du Honduras britannique, à la même époque, Saint-Pierre-et-Miquelon devint un centre de redistribution d’alcools en tous genres. Contrairement, aux îles au sud, elle disposait d’un accès facile à un marché unique : le Canada et les États-Unis.

Néanmoins, cette position est à relativiser, car la Prohibition canadienne autorisait la distillation et la vente d’alcool, contrairement à la Prohibition états-unienne qui interdisait la fabrication, l’achat et la vente d’alcool. Le marché interlope le plus intéressant dans ce contexte était bien entendu celui des États-Unis.

Côté canadien, l’île de Saint-Pierre servait de lieu d’exportation de son alcool. Les Français l’achetaient en toute légalité pour le revendre en toute illégalité aux trafiquants des États-Unis sans même avoir pris le temps de décharger leurs marchandises sur l’île. Parfois, ils chargeaient de l’alcool d’origine européenne ou antillaise. Un système économique bien rodé se mit en place entre les années 1920 et les années 1930. On peut même prétendre que les pêcheurs français devinrent, un court temps, des dockers.

La situation étant hors de contrôle aux États-Unis, le Blaine Act du 17 février 1933 abolit le Volstead Act. Les États canadiens firent de même un à un. L’État de Prince Edward Island fut le dernier à lever l’interdiction en 1948. Ainsi, la colonie de Saint-Pierre-et-Miquelon vivant très bien de sa contrebande d’alcool, fut rattrapée par la crise des années 1930. Le chômage provoqua un départ massif de sa population. Aujourd’hui, cette période de faste est largement oubliée, l’archipel ne vit que de ses pêches qui provoquèrent par ailleurs la « guerre des morues » avec le Canada à partir de 1992, moins vivace de nos jours, elle n’en demeure pas moins toujours active, mais ceci mérite un autre post. La vie à Saint-Pierre-et-Miquelon n’a jamais été simple...

Maxime Forriez.

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