Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

Le royaume gay et lesbien des îles de la mer de Corail

Date de publication : 04/12/2020

Si le titre peut faire sourire, le sujet n’en est pas moins très sérieux. En 2004, un groupe d’homosexuels australiens décida de mener un mouvement séparatiste avec l’Australie, dont le gouvernement refusait alors le mariage homosexuel. Dale Parker Anderson se déclara empereur de l’île de Cato Island, l’une des rares îles habitables de la mer de Corail.

Si la situation n’a rien à voir avec le danger que représente l’État islamique, elle n’en demeurait pas moins dangereuse, du moins dans son symbolisme. Dale Ier créa tous les attributs normaux d’une nation : le drapeau gay et lesbien, une monnaie, un territoire, des timbres postaux, etc. Toutefois, concernant son peuple, oscillant entre lui-même et une dizaine de personnes, on ne pouvait dire que l’île faisait nation au sens des penseurs du XIXe siècle. Cette situation fait écho à l’histoire de Joshua Abraham Norton, empereur autoproclamé des États-Unis d’Amérique en 1859. Si la folie de Norton ne représentait aucun danger pour le gouvernement états-unien, celle de Dale Ier aurait pu l’être puisqu’il avait les moyens financiers de mettre en place un proto-État.

En 2017, l’Australie accepta de légaliser le mariage homosexuel, et la légère tension que cette démarche avait engendrée, se calma et aboutit à la dissolution du royaume. Néanmoins, ce cas unique dans le monde, aussi idiot soit-il, cache des réflexions beaucoup plus sérieuses sur l’avenir des sociétés humaines. Une minorité sexuelle peut-elle faire nation ? Le droit à la différence doit-il aboutir à la différence des droits ?

Le ridicule de la situation a tout de même paralysé les autorités australiennes pendant treize ans. L’armée ne pouvait être envoyée pour déloger quelques gugusses sur une île perdue, dont la planète entière ignore totalement l’existence. De leur côté, les autorités législatives ne pouvaient pas non plus céder au chantage d’une minorité afin de leur créer des droits spécifiques. Bref, je pense qu’aucun État n’aurait voulu être à la place de l’Australie.

Du côté des « partisans », ou plutôt « courtisans », de Dale Ier, la création d’un refuge était-elle la meilleure solution pour protester ? La géopolitique est quelque chose de sérieux. Les homosexuels australiens étaient-ils davantage montrer du doigt qu’ailleurs ? Personnellement, je ne le pense pas. En créant cet État, ils ridiculisent les véritables peuples sans territoire propre, comme le cas célèbre des Kurdes. Je dirais même qu’ils instrumentalisent dangereusement la géographie, qui, malgré tout ce que l’on peut entendre aujourd’hui sur les frontières, reste quelque chose de sérieux. Une minorité dans un État ne peut exiger sans cesse de nouveaux droits exceptionnels en mettant en péril l’intégrité territoriale et ce qui fait société. Une minorité n’a pas à imposer ses choix personnels à la majorité.

Aujourd’hui, le royaume a été officiellement dissous, mais, même si le mal n’est pas profond, il va certainement laisser une cicatrice honteuse au territoire australien. Les informations sur cette situation restent plutôt confidentielles ; les extérieurs comme moi n’ont eu que peu de renseignements (la page wikipédia et l’ancien site officiel du royaume), ce qui explique la légèreté factuelle du contenu de ce post. Avec le temps, de nouveaux éléments surgiront, et permettront peut-être de trouver des points plus positifs à l’existence temporaire du royaume gay et lesbien. Au-delà des faits, il permet d’illustrer des problèmes philosophiques beaucoup plus profonds concernant la socialisation des individus et la nécessité de faire Société. Comment articuler les deux dans un compromis acceptable, un contrat social ? Dans un contexte généralisé de la promotion de l’individualisme, dans lequel mes droits individuels sont plus importants que ceux de la Société tout entière, un déséquilibre permanent entre l’individu et son groupe d’appartenance conduit à des situations ubuesques que nos descendants jugeront.

Maxime Forriez.

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