La colonne Trajane
Date de publication : 12/11/2020
La colonne Trajane est une source historique monumentale. Elle fut construite sur et en même temps que le forum de Trajan (300 m × 35 m), qui facilitait la liaison entre le Champ de Mars et le centre de Rome, entre 106 et 113 par Apollodore de Damas (entre 50 et 60 - 130). Elle fut inaugurée le 13 mars 113. Elle fut réalisée en marbre de Carrare. Elle constitue une source détaillée de la guerre contre les Daces, menée par Trajan (53-117), empereur de 98 à 117.
La colonne est composée de bas-relief qui forment une sorte de « bande dessinée » longue de 200 m, enroulée en 24 spirales sur une hauteur de 39,81 m et sur une largeur de 3,83 m, tout comme les livres de l’époque que l’on appelle « volume ». La hauteur de la frise augmente progressivement afin de compenser le raccourci optique que l’on a en regardant la colonne à partir du sol. Ces reliefs sont considérés comme une paraphrase imagée des Commentaires de Trajan relatant les guerres contre les Daces, ce qui confère à la colonne le statut de document historique.
Techniquement, il s’agit d’une colonne triomphale d’ordre dorique. C’est le premier monument du genre. Les spécialistes de l’histoire de l’art expliquent qu’il s’agit de la première œuvre spécifiquement romaine. Elle est issue d’un mélange entre l’hellénisme et la tradition italique.
La colonne illustre l’histoire des deux guerres daciques en 101-102 et en 105-106. Sur la colonne, il n’y a pas moins de 2 500 personnages, représentés dans des lieux différents. L’empereur lui-même y est représenté 60 fois.
Sous Trajan, l’Empire romain était à son apogée, et il fallait montrer à Rome la puissance de l’empereur dans les faits par des constructions gigantesques à la gloire de son commanditaire. La colonne Trajane n’est-elle que le reflet de la gloire de l’empereur ?
L’image de l’empereur
L’image de l’empereur véhiculée sur la frise est double : montrer qu’il s’agit d’un chef religieux et montrer qu’il s’agit d’un chef militaire.
Avant chaque grande étape de la guerre, l’armée romaine assistait aux augures. Deux bas-reliefs illustraient des sacrifices d’animaux comme un taureau en l’honneur de Mars ou comme une brebis en l’honneur de Jupiter… On sacrifiait également des fruits pour nourrir le dieu invoqué. Quand pratiquait-on ces sacrifices ? On les faisait avant de partir en mer, avant de traverser un nouveau pont, pour inaugurer un nouveau camp… Lors des sacrifices, l’empereur y était représenté, car il avait la fonction d’un prêtre. Depuis 12 a.-C., tous les empereurs successifs étaient Grand pontife de Rome. Il était par conséquent sacré. Il avait la faveur des dieux. Sa présence lors de ces sacrifices était par conséquent vitale pour le moral de ces troupes. Après avoir réalisé ces sacrifices, les dieux se manifestaient et étaient par conséquent représentés. À la base de la colonne, le dieu du Danube regardant passer avec une certaine bienveillance les troupes romaines est visible. Ce qui était important parce que le dieu du Danube était souvent en colère, et les bateaux coulés beaucoup plus qu’il ne naviguait sur ce fleuve. Sur un autre bas-relief, Jupiter foudroie l’armée des Daces et donne la victoire aux soldats romains. La transition entre la première guerre dacique et la deuxième guerre est effectuée par une allégorie de la Victoire gravant sur un bouclier les exploits de l’armée. De plus, la colonne en elle-même est un monument funéraire. Dans la zone inférieure, une chambre contient les cendres de l’empereur. En 113, Trajan préparait déjà le futur culte que l’on allait lui donner après sa mort. Toutefois, l’empereur n’avait pas qu’un rôle religieux puisqu’il était également le chef de l’armée.
Trajan était avant tout un militaire. C’était un général, il ne concevait pas autrement sa tâche d’empereur. Il avait une politique belliqueuse et pratiquait la défense par l’attaque contrairement à ses successeurs et à ses prédécesseurs qui se contentèrent de défendre le limes. La colonne permettait ainsi de montrer que Trajan s’était préoccupé pendant toute sa vie du domaine dans lequel il était compétent, c’est-à-dire la défense de son empire sur ses frontières, ou plus précisément, faire la guerre. Celle-ci permettait aussi de voir l’importance de Trajan et de ses conquêtes puisqu’il s’agit d’une colonne triomphale qui se trouve en plein centre de Rome. En tant que chef militaire, Trajan organisait des conseils avec ses généraux et les présidents ; il refusait toutes les négociations ; il était à la tête de son armée. Au sommet de la colonne, il y avait une statue équestre, aujourd’hui, remplacée par une statue de saint Pierre. Progressivement, Trajan réorganisa l’armée romaine ce qui expliquait ses victoires et lui rendait sa gloire d’antan en passant à l’offensive.
L’image de l’armée romaine
Pendant l’Antiquité, et Rome n’y échappa pas, l’armée d’un grand empire n’avait pas qu’un rôle militaire. Elle construisait de nombreux bâtiments. Elle était employée à abattre les arbres, à dégager les rochers, à assécher certaines zones marécageuses, et à aplanir le sol. L’armée possédait en son sein les meilleurs architectes et les meilleurs ingénieurs. Des ponts, comme celui du Danube lors de la seconde guerre qui fut construit par Apollodore de Damas, furent bâtis. Toutefois, la construction d’un pont n’était pas la seule possibilité pour traverser un fleuve puisque l’armée romaine pouvait faire appel à sa marine et utiliser les bateaux liés entre eux, puis disposer un tablier par-dessus. Les soldats devaient être capables également de construire des fortifications avec le matériel trouvé sur place, comme les arbres. D’ailleurs, ce multiple savoir-faire pouvait être employé pour le bienfait de la cité sur les chantiers publics, pour aider à élever des aqueducs, des amphithéâtres, des routes, dans la pratique de l’évergétisme impérial… Par ces constructions chez l’ennemi, l’armée s’installait progressivement à l’intérieur de la Dacie. Elle apportait la civilisation romaine chez les barbares. Elle était composée de citoyens, de provinciaux, d’indigènes ou encore d’affranchis. Seuls les esclaves ne pouvaient pas en faire partie, car ils sont considérés comme indignes, contrairement à un citoyen qui était avant tout guerrier et devait se battre pour la défense des frontières de l’empire. L’armée permettait également aux pérégrins d’obtenir la citoyenneté romaine. Selon Guglielmo Forni Rosa (né en 1938), entre 69 et 117, il y avait dans l’armée environ 75 % de Provinciaux contre 25 % d’Italiens. Sur la colonne, un bas-relief représente une charge romaine effectuée par des soldats africains (numides ou maures, on hésite). L’armée permettait d’intégrer les pérégrins Toutefois, il y avait une hiérarchie dans l’armée. Celle-ci s’effectuait en fonction de son rang dans le cens : plus on avait une place importante dans la vie civile (richesse, magistrature), plus on avait une chance de devenir officier. Dans la province de Dacie, Trajan menait une politique de colonisation et d’urbanisme. Soldats et vétérans étaient les acteurs de la romanisation. En effet, ils avaient un rôle de consommateurs (il fallait qu’ils mangeassent), de producteurs (après leur service, ils avaient le droit à une terre qu’ils cultivaient), d’hommes d’affaires (ils commerçaient avec les Barbares) et de police. L’armée romaine était organisée, structurée et hiérarchisée.
La colonne Trajane donnait une image d’invincibilité de l’armée romaine. Elle bénéficiait d’un entraînement (manœuvres militaires, marche, sport, maniement d’armes…) ce qui lui permettait d’être toujours plus forte et de mieux en mieux s’organiser sur le terrain comme avec la technique de la tortue, représentée sur l’un des bas-reliefs. L’objectif était de montrer les différentes techniques de guerre, leur efficacité et le rôle joué par l’armée dans la romanisation de provinces. La puissance de l’armée venait par conséquent de son organisation, mais aussi par la présence de nombreux hommes. La colonne représente des fantassins et des cavaliers. La composition de l’armée était parfaitement illustrée également. Toutefois, sur la colonne Trajane, il faut savoir qu’il s’agit de l’armée des provinces qui est représentée, puisque cette armée défendait les frontières de l’empire, rien à voir avec l’armée qui surveillait strictement la ville de Rome. L’armée des provinces était composée de légions (trente sous Trajan), d’auxiliaires et des porteurs d’étendard, qui devaient être nobles, tribuns ou légats. Sous Trajan, une armée invincible était de retour, invincibilité qui se traduisait par le fait que Trajan prenait pour modèle César. L’ordre dorique renvoyait au VIe siècle a.-C., au Péloponnèse, donc à Sparte, donc au guerrier par excellence qu’était le spartiate. Il renvoyait ainsi à l’époque classique, donc à l’âge d’or de Rome. La guerre elle-même ne jouait aucun rôle dans la décoration ; c’était la sécurité de l’Empire qui en est le thème principal. L’invincibilité se traduisait par les armes représentée : les glaives, les cuirasses, les casques, les lances, les boucliers ronds… Néanmoins il n’existait pas d’uniformité dans ces armements, car il n’existait pas d’armes dites « romaines » puisque les Romains empruntaient aux vaincus. Par ailleurs, il ne fallait pas oublier que la marine était un atout majeur pour Rome puisqu’elle lui permettait de traverser les fleuves, d’amener les hommes ou prisonniers, et d’assurer le ravitaillement. L’armée était un facteur d’intégration, mais la menace dace amenait un retour de la notion de « barbares ».
L’importance de la guerre chez les Romains
Depuis l’arrêt des conquêtes au début du Ier siècle p.-C., la notion de « barbares » avait perdu de son importance, puisque les Barbares potentiellement dangereux étaient « intégrés » à l’Empire. La menace dace faisait prendre conscience aux Romains que de nouveaux Barbares étaient aux portes de l’empire, il fallait de fait défendre les frontières, et pourquoi pas continuer l’expansion romaine. En effet, au Ier siècle a.-C., sur la rive opposée du Danube, un royaume dace organisée et dominant les peuples voisins se constitua. Il devint menaçant à partir du règne de Domitien (51-96), empereur de 81 à 96. Dans les représentations sur la colonne Trajane, la supériorité des Romains sur les Daces était clairement illustrée, notamment dans la représentation de Trajan et de Décébale (nom donné à tous les rois daces par les Romains). L’empereur commandait une armée organisée à la différence du roi des barbares, qui apparaissait comme le chef d’une bande incontrôlable ; un bas-relief montrait des soldats daces qui fuyaient au combat. Les Daces étaient considérés comme inexpérimentés en matière politique puisque Trajan leur refusa les négociations, ce qui signifiait que les Romains méprisaient les Daces, peuples barbares. Trajan apparaissait comme quelqu’un qui était écouté par son conseil : la tactique qu’il proposait, fut exécutée et fonctionna parfaitement. Pour finir, les Daces étaient représentés en lâches préférant se suicider face à l’empereur victorieux. Trajan parlait à son armée alors que Décébale ne dressait qu’à une poignée de fidèles. À la fin de la première guerre, Décébale se soumit à l’empereur Trajan tel qu’aurait pu faire Vercingétorix à César. La frise rappelle une grande victoire sur des adversaires extérieurs de l’Empire.
Toute conquête était une source de richesse. La Dacie regorgeait d’or et d’argent, et avait de nombreuses terres fertiles. Cette richesse était partagée entre les soldats et l’empereur. Les soldats recevaient des terres. L’empereur, grâce aux ressources minières, put renflouer les caisses de l’État. Par ailleurs, les Romains organisaient un pillage systématique. Une fois conquise, la province fut épurée de ses habitants, à l’exception de quelques zones. Le sort des vaincus était plus varié : ils étaient massacrés, ou se soumettaient, ou devenaient des esclaves. Les habitants de la Dacie furent pour la plupart d’entre eux vendus comme esclaves. « L’or des Daces » permit à Trajan de se faire aimer de son peuple en pratiquant de l’évergétisme. Financée par ce trésor, la colonne en elle-même était un « cadeau » offert par l’empereur au peuple romain. Elle avait une double fonction : se faire aimer de son peuple et montrer la gloire de l’empereur. Il se fit aimer de son peuple. Il obtint du peuple le surnom d’Optimus Princeps (Très bon Prince). Il avait l’honneur de reposer dans le pomerium puisque ses cendres furent bien déposées à l’intérieur de la colonne, parmi les autres « célébrités » qui reposaient à l’intérieur de l’enceinte sacrée, c’est-à-dire Romulus et Auguste (63 a.-C. - 14 p.-C.). Pour Pline l’Ancien (23-79 p.-C.), « les colonnes étaient le symbole d’une élévation au-dessus du reste des mortels. » En effet, initialement, au sommet de la colonne, la statue équestre de l’empereur illustrait ce symbolisme. Avec Trajan, Rome retrouva sa gloire d’antan.
La conquête de la Dacie pouvait être assimilée à celle d’une nouvelle Gaule. L’organisation en province fut rapide. En 102, la Dacie devint un cognomen à la fin de la première guerre. Puis, en 107, après la seconde guerre, elle devint une province impériale. Auparavant, les Romains avaient été plus prudents puisqu’ils organisaient d’abord un protectorat. Ce changement d’organisation s’expliquait par la prédominance des impératifs stratégiques et, sans doute, par un essoufflement des conquêtes. L’art sous Trajan avait un caractère triomphal et civilisateur. Trajan s’efforça d’agrandir l’empire. Il se fit la main en Dacie. Puis, il poursuivit son œuvre entre 114 et 116 avec une guerre contre les Parthes qui était plus importante pour l’avenir de l’Empire romain. La colonne inspira d’autres empereurs comme Marc Aurèle (121-180), mais, à la différence de celle que l’on vient d’étudier, elle représentait davantage la défense de l’empire plutôt que son expansion.
Toutefois, la valeur de document historique, définie dans l’introduction, est toujours controversée aujourd’hui, car la colonne était avant tout un outil de propagande pour asseoir une nouvelle dynastie, et surtout parce que la mise en scène chez les Romains était très importante. Il n’en demeure pas moins que la colonne permet d’obtenir des informations précieuses sur la manière de faire la guerre au moment où l’empire était à son apogée, comme la fameuse technique de la tortue qui est présent sous la forme d’un hiatus dans les bandes dessinées d’Astérix et Obélix par exemple.
Maxime Forriez.
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