L’épidémie de peste noire à la fin du Moyen Âge
Date de publication : 16/09/2020
Aujourd’hui, après avoir vu quelques éléments sur les sources, on peut résumer ce que l’on sait des sources historiques concernant la fameuse peste, tant citée ces derniers mois.
Même si on a l’air de la mettre sur un piédestal en tant que référence sur la gestion d’une épidémie en Europe, en réalité, on en sait peu de choses. Pourquoi ? Simplement parce que le terme « peste » (pestilentia) désignait n’importe quelle épidémie dans les sources médiévales. Elle désigne par conséquent un certain nombre de maladies plus ou moins bénignes : le mal des ardents (causé par l’ergot de seigle), les coqueluches, les maladies de peau telles que le feu de Saint-Laurent (eczéma), le feu de Saint-Sylvain (érysipèle) ou la gale, etc. Bien entendu, elle désigne des maladies bien plus graves dont la mort est l’issue certaine : la lèpre, la variole (depuis les retours de Croisades) et la peste elle-même sous ces trois formes, bubonique, intestinale ou pulmonaire. De fait, une source qui évoque une peste, ne désigne pas forcément ce que nous nous appelons la peste.
Aux XIVe-XVe siècles, les épidémies furent très nombreuses. Les historiens doivent s’improviser médecin pour juger, d’après les descriptions des symptômes, s’il s’agit de la peste ou d’une autre maladie. La cause de la diffusion de ces épidémies est multifactorielle. La première est la multiplication de phénomènes climatiques entraînant des famines. Les faibles rendements qu’ils entraînaient et la difficulté de ravitailler un village en manque de nourriture, faisaient qu’elles étaient dures, et qu’elles fragilisaient le corps le plus robuste. La malnutrition ou la sous-alimentation étaient une caractéristique de la période, marquée également par les combats et les razzias de la guerre de Cent ans. Il faut rappeler que la famine avait disparu au XIIIe siècle (les sources ne font mention que de quelques disettes). De fait, la population n’y était pas préparée. Elle pensait certainement, à tort, que cette période de faste agricole était acquise. La deuxième était l’absence de connaissance suffisante sur les maladies pour proposer des méthodes thérapeutiques efficaces. La troisième était l’hygiène de certaines villes dans laquelle n’importe quelle maladie pouvait se diffuser rapidement. D’après les descriptions des chroniqueurs, on pense qu’il y eut des épidémies de coqueluche à Paris en 1414 et en 1427, une épidémie de variole, toujours à Paris et au pic de la peste noire, en 1348, etc. Dans tous les cas et dans les conditions de vie de l’époque, les pauvres étaient les plus touchés par ses épidémies ; confinés chez eux, les marchands, les ecclésiastiques ou les seigneurs étaient un peu plus épargnés.
Néanmoins, il est certain qu’une grande vague de peste, celle que la médecine actuelle appelle comme ça aujourd’hui, eut lieu en Europe entre 1348 et 1350. D’après le chroniqueur Jean Froissart (vers 1337 - vers 1410), l’Europe aurait perdu un tiers de sa population. Est-ce un chiffre crédible ?
Avant d’y répondre, on sait que la peste fut apportée par un navire génois venant d’Asie à Marseille à la fin de l’année 1347. Elle se répandit dans le Midi, puis dans le reste du royaume de France, avant de se répandre dans toute l’Europe occidentale. Elle fit des ravages entre 1348 et 1350, mais elle n’arrêta pas de réapparaître épisodiquement, localement et de manière très affaiblie en 1361, 1374, 1434, et ainsi de suite jusqu’à l’ultime épidémie de Marseille en 1720. Si on ose faire une rapprochement avec la dynamique spatio-temporelle du COVID-19, elle est très proche, mais avec une durée beaucoup plus rapide (mesurée en mois au lieu d’années). Ainsi, il est logique et normal que le virus apparaisse, disparaisse, sous une forme moins violente. La peste elle-même a suivi cette dynamique.
L’Europe a-t-elle vraiment perdu un tiers de sa population ? Les documents historiographiques (c’est-à-dire les textes écrits par les historiens à partir de sources) n’y croyaient pas. À partir des années 1960-1970, les médiévistes se sont lancés dans l’histoire quantitative en dépouillant, notamment des sources locales inédites : les comptabilités, les testaments, en dressant des prosopographies d’individus, etc. Ces documents qui, à l’origine, n’étaient pas destinés à servir de sources historiques, n’en demeurent pas moins de précieux témoignages sur la vie quotidienne au Moyen Âge. Que nous apprennent ces sources indirectes permettant de faire des pré-statistiques ? Les comptabilités, grâce à différentes méthodes proposées par les historiens, permettent indirectement de déterminer le nombre de morts (je vous renvoie aux travaux de feu Denis Clauzel). Pour les prosopographies, elles sont établies à partir de différents textes du quotidien mentionnant de manière récurrente un personnage important du village, de la ville. De fait, on peut établir sa date de naissance approximative et la date de sa mort naturelle, par maladie ou par un acte de guerre. Toutefois, les sources les plus intéressantes sont les testaments pour deux raisons. Au Moyen Âge, on rédigeait son testament au moment où l’on était à l’article de la mort. De fait, si le nombre de testaments augmente significativement sur une période donnée, ce qui est le cas d’après les médiévistes, le nombre de morts augmente lui aussi de manière significative. La seconde raison est le contenu même des testaments : les dernières volontés des défunts sont une source qui fonde l’histoire culturelle. De plus, la mort présente partout inspira les artistes qui firent des illustrations appelées Danses macabres dans le courant du XVe siècle. Bref, on vivait avec la mort, on s’amusait de la mort. C’est une leçon de vie que l’on pourrait rappeler dans le contexte actuel du COVID-19. La mort est normale, et mieux vaut en rire qu’en pleurer...
Grâce à ces sources indirectes, et leur étude suffisante depuis les années 1960, la population européenne diminue de manière nette au XIVe siècle, et l’on retrouve, à la louche bien sûr, le tiers de J. Froissart. De plus, de manière plus locale, on remarqua que certaines villes perdirent plus de la moitié de leur population (par mort ou par fuite).
Par les famines, les organismes de la population furent considérablement affaiblis. La première de cette période eut lieu entre 1315 et 1317. Ces famines s’essaimèrent tout au long de la période jusqu’au pic de 1348 à 1350, sans oublier les pertes de récolte dues aux combats de la guerre de Cent ans. Le retour de la peste fut une grande surprise. Elle avait totalement disparu d’Europe depuis la fin du Haut Moyen Âge (vers le Xe siècle). D’après les sources indirectes, les historiens ont pu établir que la forme pulmonaire tuait dans 100 % des cas, tandis que la forme bubonique tuait dans 80 % des cas. Quoi qu’il en fût, une forte mortalité s’installa durablement. On estime que, de la France du XIIIe siècle à 20 millions d’habitants, on passa à une France à 8-10 millions d’habitants au début de XVe siècle (vers 1400). Si on évoque l’actualité du COVID-19, il évident que ce virus, aussi virulent soit-il, ne tue personne en comparaison avec la peste noire. Il est par conséquent mal avisé de comparer l’épidémie actuelle avec celle de la peste du XIVe siècle. Il est à noter qu’il fallut attendre le règne de Louis XIV (1638-1715) pour revenir à une population équivalente à celle d’avant l’épidémie de peste, soit presque trois siècles.
Maxime Forriez.
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