Petite leçon géographique : le partage de Verdun (843)
Date de publication : 03/11/2020
Peu avant sa mort, en 840, Louis Ier (778-840), empereur de 814 à 840, avait envoyé à Lothaire (795-855), la couronne et l’épée impériales. Dit autrement, Lothaire fut désigné comme celui qui aurait le titre d’empereur. Malgré le partage de 838 qui lui fut favorable, Charles II le Chauve (823-877) s’allia avec Louis II le Germanique (vers 806-876) contre Lothaire dès 840. Après maintes tentatives pour les séparer, Lothaire dut leur livrer bataille à Fontenoy-en-Puisage (près d’Auxerre) le 25 juin 841. Vainqueur, il put reprendre successivement le royaume de ses deux frères.
Charles II et Louis II se réunirent à Strasbourg. Ils jurèrent de s’aider mutuellement contre Lothaire lors du serment de Strasbourg du 14 février 842. Afin d’être compris de leurs soldats, francs et germains, le serment fut prêté par Charles en dialecte germanique, et, pour Louis, en langue romaine. Ce texte est le plus vieux document écrit en français et en allemand. La guerre reprit. Lothaire dut céder et reconnaître ses fautes. Il fut alors décidé de procéder au partage définitif de la monarchie franque à Verdun en août 843.
Le 18 octobre 842, les trois frères se réunirent pour faire le partage de l’empire. Pour le réaliser, le principe d’égalité des revenus fiscaux fut retenu. Dit autrement, ce principe allait à l’encontre de celui d’égalité géographique, ce qui signifie que la carte obtenue peut paraître illogique à notre époque. Ce découpage obéissait à des limites non géographiques et posait d’importants problèmes administratifs, puisque le latin était la langue des lettrés européens. Néanmoins, pour éviter des découpages en tâches de léopard, le principe de ne faire aucune enclave fut également retenu.
Lothaire conserva la dignité impériale, mais ce n’était qu’un titre sans substance, car les trois rois étaient totalement indépendants.
120 commissaires travaillèrent dans la production de ce partage. L’Empire franc restait intact, car Rome et Aix-la-Chapelle étaient dans le domaine de Lothaire, la Lotharingie. Les limites en dent de scie obtenues étaient calquées sur les anciennes cités romaines. Par ailleurs, les particularismes ethniques furent respectés : la Bavière pour Louis II le Germanique, l’Aquitaine pour Charles II le Chauve et l’Italie du nord pour Lothaire. Ainsi, les limites obtenues n’avaient aucun sens d’un point de vue géographique
Pourquoi un tel partage ? À chaque partage entre 817 et 839, les fonctionnaires devaient prêter un serment au roi, « à la vie, à la mort », or ils avaient souvent changé de roi en vingt-deux ans. Dans le cas de la Bourgogne, coupée en deux au partage de Verdun, entre 806 et 839, la Bourgogne fit l’objet de six partages, soit un roi tous les cinq ans. De fait, comment rester fidèle à un tel serment ? Dit autrement, à Verdun, les fonctionnaires usurpèrent la structure gouvernementale germanique, fondée sur le serment à vie. La mouvance des territoires fit que, en cas de guerre civile, le roi devait convoquer ses vassaux, or les vassaux suivaient leurs propres intérêts, c’est-à-dire le roi géographiquement le plus proche de chez eux. Par exemple, lors du Champ du mensonge, pendant la nuit, tous les soldats de Louis Ier l’abandonnèrent pour passer dans le camp de ses fils, ce qui illustrait l’effondrement des structures de l’Empire franc. Plus largement, la vassalité germanique ne convenait pas à la Res publica romaine, rénovée par Charlemagne.
Toutefois, le principe d’unité fut défendu par le clergé et les intellectuels. Ils s’opposèrent à ceux qui défendaient l’idée que le principe du partage était issu « de la coutume de nos parents ». En effet, ce principe avait une double origine. D’une part, l’empire romain qui n’hésita pas à partager plusieurs fois son territoire jusqu’à la partition définitive de Théodose en 395. D’autre part, il était conforme au partage tribal germanique et celtique (Irlande). Chez eux, le roi était un chef de guerre. La succession suivait le principe de matrilinéarité ; la mère veillait à ce que ses enfants eussent une part de l’héritage. Dans ce cadre, il ne pouvait y avoir que deux solutions : soit on partageait, soit on suivait le principe de la tanistrie (ou tanistry) par lequel l’héritage allait au second. Le souci de la matrilinéarité était que les enfants bâtards eus avec des concubines pouvaient prétendre au trône. Le mariage chrétien ne réglait rien puisque seuls Pépin le Bref (avec Bertrade de Laon) et Louis Ier (avec Judith) avaient eu un tel mariage. Que faire des bâtards ? Louis Ier proposa une solution. Les demi-frères devaient obligatoirement devenir moines ou évêque, et les demi-sœurs devaient être mises au couvent. Cela concernait également les reines. Judith, femme de Louis Ier, poussait sans cesse au partage en faveur de son fils Charles II le Chauve. Lorsque Louis Ier perdit deux fois le pouvoir, elle fut deux fois le bouc émissaire puisqu’elle fut enfermée dans un monastère.
En plus des bâtards, selon la coutume germanique, le système matrilinéaire offrait aux oncles maternels, ici Conrad Ier de Bourgogne (vers 800-entre 862 et 866), comte de Paris en 850, et Rodolphe (?-866), abbé de Jumièges, comte de Sens, les frères de Judith de Bavière, femme de Louis Ier, et d’Emma de Bavière (vers 808-876), la femme de Louis II le Germanique, un rôle très important. Ils étaient considérés comme des pères adoptifs, chargés de l’éducation des enfants de leur cousine.
L’institution du mariage chrétien était insuffisante au IXe siècle afin de faire prévaloir un unique héritier. La solution ne fut trouvée qu’au XIIe siècle avec l’instauration du mariage chrétien sous sa forme actuelle. À cause de cela, l’Europe ébauchée par Charlemagne s’effondra. Jean VIII (vers 820-872), pape de 872 à 882, devint le recteur de l’Europe, titre qu’avait préalablement Charlemagne. Le nouveau mariage chrétien du XIIe siècle assura l’unité et il fonda une nouvelle société. Pour l’heure, le partage de Verdun en 843 détruisit l’unité monarchique franque fondée par Charlemagne depuis 771. Il est considéré par les historiographes nationalistes du XIXe siècle comme le texte fondateur des futurs États de France, d’Italie et d’Allemagne. Le problème était que le découpage obtenu pour la Lotharingie (ou la France médiane) aboutit à un territoire stratégiquement indéfendable, coincé entre la Francia occidentalis de Charles II le Chauve à l’est de l’Escaut, de la Meuse, de la Saône et du Rhône, et la Francia orientalis de Louis II le Germanique à l’est du Rhin et au nord des Alpes. La Lotharingie englobait l’Italie du Nord la région sise entre les Alpes, l’Aar et le Rhin à l’est, et entre le Rhône, la Saône, la Meuse et l’Escaut à l’ouest. Dit autrement, le territoire de Lothaire n’était pas viable sur le long terme ; il disparut en 965 après maintes partitions et redécoupages. Lorsque la Lotharingie fut en déshérence, Francia orientalis et Francia occidentalis se disputèrent pendant des siècles ce vaste territoire. La Bourgogne, à cheval entre les deux, joua pendant plusieurs siècles sur cette double appartenance. À son apogée, aux XIVe-XVe siècles, les ducs de Bourgogne tentèrent le pari fou de reconstituer la Lotharingie, pari qu’ils perdirent avec la mort de Charles le Téméraire (1433-1477) au siège de Nancy le 5 janvier 1477.
Par ailleurs, le partage de Verdun ne fut pas seulement un partage entre Carolingiens, mais « un règlement de paix acceptable pour l’aristocratie » (Alfred Werner Maurer né en 1945). L’aristocratie songeait plus qu’à satisfaire ses propres intérêts. Elle tendit de plus en plus à confondre les charges publiques dont elle était investie (honor) avec les biens privés dont elle était dotée pour assurer son service guerrier (beneficium). C’étaient les véritables acteurs de la décomposition de l’Empire carolingien, et firent évoluer la société vers le monde féodal.
Voilà comment naquit l’Occident classique, ainsi que la lutte pour la zone autour du Rhin entre la future France et la future Allemagne.
Maxime Forriez.
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