La suppression de la procédure de la qualification
Date de publication : 30/10/2020
Malgré ma semaine de pause que je m’étais imposée, je vais réagir à chaud sur ce qui s’est passé hier soir au Sénat. Une douzaine de sénateurs ont voté la suppression de la procédure de qualification.
Pour ceux qui ignorent ce dont il s’agit, un petit rappel. Tout titulaire d’un doctorat en France (ou d’un pays tiers dont la France reconnaît le diplôme comme équivalent à son doctorat) ne peut pas postuler directement à un poste de maître de conférences ou de professeur des universités, sans avoir été préalablement qualifié par le Conseil national des universités (C.N.U.).
Je préfère donner tout de suite ma position pour que vous ne perdiez pas votre temps à me lire, si vous pensez différemment, j’ai toujours trouvé cette procédure stupide et inutile. Elle avait été instaurée lorsque les universités avaient commencé à recruter localement, et non plus nationalement, afin de justifier l’existence de la structure, qui, jadis, plaçait les enseignants-chercheurs dans les universités françaises, privilège dont dispose toujours, par exemple, le C.N.R.S. pour ses chercheurs.
Cette procédure est inique. Vous êtes doctorant, vous galérez dans les méandres du panier de crabes qu’est le monde des chercheurs - la dispute, oups ! le débat, à laquelle les Français assistent depuis mars 2020, donne une vague idée de ce que peuvent subir certains jeunes chercheurs en formation -, vous vous épuisez à soutenir vos idées devant un jury qui n’est pas toujours acquis, contrairement à ce que pense beaucoup de gens qui n’ont passé qu’un master, et, au final, tout votre avenir est décidé par des gens que vous ne connaissez pas à Paris qui vous octroient le droit, ou non, de passer les concours de l’enseignement supérieur. Vous aurez compris ma position, c’est humiliant pour le candidat, et cela donne une surpuissance à la section du C.N.U. qui évalue votre thèse, vos cours et vos articles, rien que ça ! Qui a dit que les enseignants-chercheurs français n’étaient pas évalués ?
Petite précision pour bien comprendre, à qui ignore comment fonctionne le C.N.U. Il est subdivisé en sections disciplinaires qui évaluent vos travaux, mais vous pouvez, si vous obtenez la qualification, postuler à une autre section. Toutefois, ce droit est davantage virtuel que réel. La plupart du temps, la tradition universitaire impose le fait que vous ne pouvez postuler que dans la section dans laquelle vous avez été qualifiée, même si vos travaux sont pluridisciplinaires.
Pour avoir vécu quatre procédures de qualification, je peux vous dire que le lot d’humiliations est important. La première, tout va bien, je viens d’avoir ma thèse, elle est de qualité, le jury ne peut que m’accorder le droit de passer les concours. Notez que ce droit ne vous donne aucune certitude d’obtenir un poste. C’est ce qui s’est passé dans mon cas. La deuxième et troisième qualifications m’ont été refusées, et là il faut bien remarquer que, dans mon cas, il ne s’agit pas de remettre en question la qualité de mes recherches passées. Le C.N.U. a estimé que j’avais trop pris mes distances par rapport au milieu universitaire, et que, par conséquent, il ne voyait pas l’intérêt de me requalifier. Si je pouvais répondre, je vous dirais : « Excusez-moi d’avoir un travail pour lequel j’ai signé une clause de loyauté professionnelle qui m’empêche d’avoir des contacts avec le milieu universitaire, voire de publier mes travaux de recherche ! ». Je n’entrerai pas davantage dans cette polémique, mais avouez que l’argument du C.N.U. est tout à fait spécieux. En gros, si j’avais accepté de devenir un esclave d’une université, dans le sens où j’aurais travaillé pour elle gratuitement, j’aurais été qualifié. C’est délirant ! Pour être honnête avec ceux qui me lisent, lors du deuxième essai, j’avais, il est vrai, peu publié, ce qui était un argument valable pour refuser la qualification, mais cela traduit surtout une méconnaissance totale de la situation économique de notre pays depuis 2008. Lorsque l’on est chômeur et que l’on envoie des dizaines de C.V. et lettres de motivation par semaine, on n’a ni la tête, ni le temps pour écrire des articles scientifiques. La quatrième fois fut la bonne, mais rien qu’à l’idée qu’il me faille recommencer la procédure dans deux ans, ça me gonfle. Le jury étant souverain, il fait ce qu’il veut et sans se justifier réellement. De fait, je ne peux être que pour la suppression de cette procédure humiliante et redondante.
Toutefois, la qualification avait quelques avantages. Réévaluant les travaux, elle permettait de filtrer les rares thèses qui n’en étaient pas réellement, mais surtout elle empêchait aux candidats de perdre leur temps s’ils n’avaient pas le niveau suffisant pour postuler aux concours à partir de critères stricts pour certaines sections, cool pour d’autres. Il ne faut plus être excellent pour réussir, il faut quasiment un surhomme capable d’être innovant, excellent, de collaborer nationalement et internationalement, etc., ou d’être pistonné, ce qui, désormais, depuis les lois Pécresse de 2007, est plutôt la règle. La section de droit, par exemple, impose un filtre très strict qui aboutit à la qualification d’un nombre limité de candidats, équivalent à peu près au nombre de postes, ce qui empêche réellement les candidats de s’épuiser à passer des concours qu’ils n’auront jamais. La section de géographie, la mienne, s’est toujours voulue plus libérale. Résultat, des gens comme moi qui ont fait une recherche originale et largement hors des clous par rapport à ce qui se fait dans la discipline, ont peu de chance d’avoir un poste sans piston. Certes, la posture est plus libérale, comme le dit la section elle-même, mais combien de vies détruit-elle moralement ? Quand vous êtes juriste, vous avez toujours moyen de rebondir professionnellement, puisque le cœur de la société est son droit, mais, lorsque vous êtes géographe, votre unique salut reste la fonction publique, et pour y rentrer, il faut réussir un concours administratif contenant des épreuves de droit... Il existe, certes, des gens comme moi qui finissent par percer dans le privé après un parcours difficile et laborieux, mais, d’après les statistiques de l’ANDES, ça reste l’exception.
Que faire pour arrêter le massacre des docteurs ? C’est l’ouverture que je vous propose. Ma position est simple. Il faut arrêter de produire plus de docteurs que nécessaire pour l’enseignement supérieur et la recherche académique. Il faut que les laboratoires deviennent responsables, et admettent ne pas avoir de doctorants pendant quelques années, ce qui est difficile contenu des dispositions de la loi Pécresse sus-citée, mais qui serait un moyen de protestation beaucoup plus efficace et civique, je pense. Il faut supprimer la procédure de qualification, et peut-être en proposer une autre dont les critères seraient universels et objectifs pour chacune des sections du C.N.U. Ne laissant aucune place au flou artistique total que j’ai connu lors de mes procédures de qualification par exemple. Personnellement, étant donné que le recrutement des docteurs se joue à l’échelle mondiale, je suis pour sa suppression pure et simple. Si la France veut attirer des talents étrangers, il faut qu’ils puissent être recrutés sans qu’ils ne soient perdus dans des procédures administratives et bureaucratiques qui n’existent pas ailleurs, ou qui sont plus légères, parce que, figurez-vous pour ceux qui ne le savent pas, la procédure de qualification a lieu une fois par an entre décembre et février, ce qui explique pourquoi tout le monde soutient sa thèse en fin d’année calendaire, pour une liste de postes publiée en mars. Imaginez le candidat étranger découvrant dans cette liste un profil qui lui correspond. Il veut postuler, il ne peut pas, car il n’est pas qualifié. Du coup, il va dans un autre pays sans ce type de procédure, et la France a peut-être perdu quelqu’un de qualité.
Pour l’heure, il n’y a plus qu’à attendre. Le Sénat a voté sa proposition, mais va-t-elle être suivie par l’Assemblée nationale, qui avait elle-même renoncé à son amendement visant la suppression de la procédure en 2013 ? À suivre...
Maxime Forriez.
Commentaires :
Veuillez compléter tous les éléments du message !
Aucun commentaire n'a été formulé !