Le statut d’esclave en Grèce classique (Ve-IVe siècle a.-C.)
Date de publication : 20/10/2020
Ce post sera l’objet d’une longue série qui évoquera succinctement l’évolution de la notion d’esclave au cours des siècles et des civilisations. Ces derniers temps, on a pu, à mon grand regret, oublier qu’être esclave était contextuel, et nous le verrons dans ce texte, tous les esclavages n’impliquent pas souffrance, humiliation et maltraitance de la part de leur maître.
Pour introduire le sujet, je précise qu’être esclave était en Grèce classique un statut juridique qui pouvait être temporaire. Par exemple, le philosophe Platon fut à une période de sa vie esclave pendant quatre années. Contrairement à la période romaine, il n’existait pas une sémantique très claire en Grèce classique. Le doulos était un terme juridique désignant celui qui n’était pas libre. Par exemple, les hilotes à Sparte étaient des doulos. Le terme andrapodos était plus péjoratif, car il assimilait l’esclave à du bétail. Le mot oiketès désigne un serviteur de l’oikos (d’un foyer), mais cela ne signifiait pas que la personne n’était pas libre. Le même problème se pose pour latris (serviteur). Pour finir, le terme pais avait un double sens : celui d’enfant et celui d’esclave, celui-ci devant rendre service comme un enfant. Il semble que son usage était davantage une interjection pour appeler un esclave, un peu comme nous au café lorsque l’on crie « Eh ! garçon ». Ainsi, la sémantique floue fait que la notion d’esclave était fonctionnelle : il pouvait être libre, demi-libre ou non-libre. Il s’agit chez les Grecs d’un statut juridique à distinguer de la position sociale. En effet, nous savons par de nombreuses sources que plusieurs esclaves furent plus riches que leurs maîtres. Par ailleurs, il est compliqué de dresser un portrait généralisable à l’ensemble des cités grecques, chacune d’entre elles ayant leurs propres statuts d’esclave. Une nouvelle fois, notre connaissance en est totalement biaisée, puisque toutes nos informations concernent à 95 % Athènes.
En Grèce classique, la liberté se divisait. Un esclave était une propriété partiellement protégée par la loi. Le meurtre d’un esclave était sévèrement puni. On sait que la loi athénienne punissait les maîtres qui maltraitaient leur esclave. L’esclave était considéré comme un être humain à part entière : lorsque son sang était répandu, il devait nécessité une purification. L’esclave pouvait pratiquer librement sa religion. L’idée générale était que les dieux ne connaissaient pas l’esclavage, tandis que les Hommes le toléraient. Pour finir, un homme se mariant avec une femme esclave avait des enfants libres.
On pouvait considérer être un esclave, en Grèce classique, si on remplissait quatre conditions : (1) ne pas être représenté en justice par un maître ; (2) ne pas être sujet à la saisie ; (3) pouvoir habiter où l’on souhaitait, car les esclaves devaient habiter chez leurs maîtres ; (4) pouvoir faire ce que l’on voulait.
Malgré ce statut très favorable au regard de ceux qui lui ont succédé, un esclave était considéré, par nature, comme un menteur. Par exemple, lors d’un procès, il ne pouvait témoigner que sous la torture, dans le but d’éviter qu’il n’accablât son maître.
Comment devenait-on esclave ? Six possibilités existaient : (1) l’esclavage issu d’une conquête, (2) l’esclavage pour dettes, (3) l’esclavage marchandise, (4) l’esclavage d’un prisonnier de guerre, (5) l’esclavage par exposition et (6) l’esclavage par naissance.
Devenir esclave suite à une conquête est la première forme d’esclavage en Grèce classique. L’esclave pour dettes disparut au VIe siècle a.-C. à Athènes. Toutefois, il est possible qu’il fût maintenu ailleurs. L’esclavage marchandise provenait soit d’étrangers à la cité, soit de la vente du butin des pirates (ce qui fut le cas de Platon). L’esclavage était la résolution pratique du problème des prisons. Un individu indésirable était vendu à des marchands d’esclaves par sa cité. Cela permettait de gagner de l’argent, de s’en débarrasser et de lui priver de sa liberté. L’esclavage d’un prisonnier de guerre consistait à vendre la liberté d’un individu à ses compatriotes (c’était un devoir de racheter un membre de sa cité) ou à sa famille. L’esclavage par exposition était le plus étrange. Ne connaissant pas le statut juridique d’un enfant abandonné, on lui choisissait le statut le plus bas. Par ailleurs, l’adoption était impossible, puisque l’on ne connaissait pas son origine. Pour finir, l’esclavage de naissance concernait plus généralement les enfants d’un homme et d’une femme esclaves. Fréquemment, en Grèce, un homme qui achetait sa liberté, achetait également une femme avec ses enfants. Il y a fort à parier que, en faisant cela, il venait de racheter sa femme et ses propres enfants.
En général, les sobriquets ou les surnoms des esclaves fournissent leur origine géographique. Pendant la Grèce classique, une évolution notable eut lieu. Au Ve siècle a.-C., deux tiers des noms étaient d’origine grecque, tandis que, au IVe siècle a.-C., il n’y en avait plus qu’un tiers.
Pourquoi avait-on besoin d’esclaves ? Selon Aristote, il était nécessaire, car il y avait besoin de bras pour travailler. Toutefois, la mesure du travail reste difficile durant l’Antiquité, car on ne distinguait le travail de la personne qui l’avait produit. Par ailleurs, l’esclavage fut certainement un frein technologique en Grèce classique, car c’était la force de travail par excellence. De fait, personne n’avait l’usage de machine mécanique.
Le prix d’un esclave variait en fonction de l’âge et du sexe. Il existe un marché primaire et un marché secondaire, où l’on pouvait acheter des « esclaves d’occasion ». En période classique, l’esclave valait en moyenne 300 drachmes, ce qui représentait pour les Grecs une somme considérable. Cela explique pas mal de choses sur le statut d’esclave. En général, les esclaves en Grèce était bien mieux traité que chez les Romains, car ils valaient très cher.
Comment sortir de l’esclavage ? Trois méthodes étaient possibles. (1) L’esclave prenait la fuite. C’était risqué, car, s’il était pris, il était mis à mort. (2) L’esclave acquérait sa liberté suite à une révolte. En réalité, il y eut très peu de révoltes d’esclaves en Grèce classique. Par ailleurs, c’était un des rares motifs de soutien entre cités. Il existait un article prévoyant l’entraide des cités membres de la Ligue de Corinthe en cas de révoltes d’esclaves chez l’une d’entre elles. (3) L’esclave était affranchi par son maître. À la différence des Romains, les Grecs affranchissaient beaucoup plus d’esclaves. Cela arrivait lorsque l’esclave avait servi militairement dans la cité de son maître. S’il possédait de l’argent, il pouvait racheter sa liberté. On pouvait aussi opérer une vente fictive à un dieu devant magistrats et témoins. En effet, puisque les dieux ne reconnaissaient pas l’esclavage, vendre un esclave à un dieu revenait à changer la nature juridique de la personne concernée. Pour finir, un esclave pouvait devenir libre par legs testamentaire.
La condition sociale de l’esclave demeurait tout de même variable en fonction du caractère du maître et en fonction du lieu de son esclavage (ville ou campagne). L’objectif du maître était de ménager son esclave, car il lui avait coûté cher. Par ailleurs, le prix limitait le nombre d’esclaves à un ou deux, en moyenne, par foyer. L’esclave rural, dans une exploitation où il y avait un ou deux esclaves, était plutôt bien traité, mais il avait une vie rude, tandis que, dans les grandes exploitations ayant beaucoup plus d’esclaves, il était davantage mal traité. En ville, il existait une hiérarchie entre les esclaves au sein d’un même foyer ; en fonction d’elle, un esclave était proche ou éloigné de son maître. Certains esclaves ne résidant pas chez leur maître devaient gagner leur vie. Leur salaire était perçu par leur maître. Là, les cas sont plus nombreux. Il pouvait y avoir aucun différence entre un salarié et un esclave. L’esclave pouvait travailler dans les mines ou dans d’autres entreprises dans le but unique de produire quelque chose. Ce fut un des rares cas où la cadence de travail devait être infernale. L’esclave pouvait travailler chez lui. L’esclave pouvait travailler directement pour la cité dans les mines ou dans la police. La troisième variable était simplement la période : y avait-il ou non un afflux d’esclaves à ce moment-là ?
Entre autres choses, l’esclave était puni par le fouet. L’esclave avait le droit de posséder de l’argent, voire des esclaves. Les esclaves ne pouvaient se marier sans l’autorisation de leurs maîtres respectifs ; ils étaient des mineurs au sens juridique du terme. L’esclave ne pouvait transmettre ses biens à sa propre famille ; son maître était son unique héritier.
À côté des esclaves, il y avait ce que l’on appelle des dépendants (ou demi-libres). Ils vivaient chez eux ; ils pouvaient avoir une famille ; il pouvait posséder des biens, à l’exception de terres. À Sparte, les hilotes étaient maltraités, car on avait peur d’eux. Ils étaient désarmés. Ils n’avaient pas le droit de sortir la nuit. Si l’un d’eux était pris, il était immédiatement exécuté. Les demi-libres pouvaient être regroupés en fonction de trois constantes juridiques : (1) un contrat de servitude ; (2) un devoir de servir militairement leur cité ; (3) un statut juridique à part.
Il est difficile de savoir si le contrat de servitude était une généralité en Grèce classique, ni même de savoir s’il existât. Pour le service militaire, on sait par exemple que, à la fin du Ve siècle a.-C., Sparte avait créé un corps spécial de phalange hilotique. Pour terminer, le statut juridique à part semble avoir progressivement disparu, car, dans les sources grecques, on n’en parle toujours au passé. Les pénestes, demi-libres de Thessalie, cessèrent-ils d’exister en 336 ? les hilotes en 147-146 ? Difficile de savoir. Toutefois, ce statut semble avoir disparu en Grèce hellénistique.
La couleur de l’esclavage en Grèce classique demeure grise. Certains côtés sont noirs, d’autres sont blancs. En tout cas, il est difficile d’avoir une vision aussi manichéenne qu’aujourd’hui, héritage de la forme d’esclavage qui prit fin dans le courant du XIXe siècle, qui lui fut bien inhumain et intolérable. Je vous présenterai bien d’autres formes d’esclavage prochainement, patience !
Maxime Forriez.
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