Sources et langues
Date de publication : 15/09/2020
Après un petit topo sur la fiabilité des sources, il m’est venu l’idée de vous parler d’un problème qui existe depuis que les Hommes savent lire et écrire (soit 3000 avant J.-C., noté a.-C.).
Doit-on travailler avec la source directe et brute que nous possédons ou doit-on travailler avec sa transcription ou son traduction ?
Vaste débat. Je préviens tout de suite que je n’ai aucune réponse à apporter à cette sempiternelle question qui revient à toutes les époques. Je vais donner quelques pistes de réflexion.
Quelle est la différence entre transcription et traduction ? La transcription consiste à recopier mot pour mot un document dans sa langue d’origine. En histoire, les transcriptions sont nombreuses : les inscriptions sur les monuments, les pièces de monnaie, etc., mais surtout les transcriptions issues de l’étude paléographique de vieux documents (en parchemin généralement), qui, pour le cas de la France, sont écrits en latin, en grec, en vieux français, en français moderne, puis en français contemporains.
En général, la traduction intervient après la transcription, phase très longue et très pénible surtout pour les textes des XVIIe-XVIIIe siècles. Toutefois, vous l’aurez compris si la transcription est mauvaise, la traduction en sera faussée (et on revient sur le problème de la fiabilité d’une source). C’est arrivé beaucoup plus souvent qu’on ne l’a su publiquement. Le cas le plus célèbre est la bagaude de Tours du IXe siècle après J.-C. (noté p.-C.). Elle était problématique, car les bagaudes sont datées entre le IIIe siècle et le Ve siècle p.-C., donc pourquoi un tel acte au IXe siècle ? Pour en savoir plus lire : https://www.persee.fr/doc/ista_0000-0000_1996_edc_603_1
« Traduire, c’est trahir », vieil adage des traducteurs, mais comment avoir accès à un document si on ne connaît pas la langue dans laquelle il a été écrite. De plus, les gens polyglottes sont rares ; je parle des vrais, ceux qui maîtrisent cinq ou six langues. Pourtant, la traduction reste le meilleur moyen d’accéder à des documents historiques majeurs, ou tout simplement des œuvres littéraires ayant eu un impact considérable sur notre civilisation : L’Iliade et l’Odyssée, Le roman de Renart, etc. Avant la naissance administrative et officielle du français, en 1537 par l’édit de Villers-Cotterêts de François Ier, d’autres langues étaient parlées et écrites. Ne pas traduire ces oeuvres, revient à nier leur existence à ceux incapables de lire en latin, grec ou vieux français (dont la date de naissance s’opère avec le Serment de Strasbourg de 842, transcrit en vieux français, vieil italien et vieil allemand).
Là où le problème commence à grandir, c’est que le document concernant l’histoire de France ne sont pas écrits uniquement dans ces quatre langues. On trouve des documents en langues régionales (flamand, basque, corse, occitan, etc.), en langues d’autres États européens occidentaux (néerlandais, allemand, anglais, italien, espagnol, portugais), sans oublier des textes en langues dites rares, comme le russe, ou plus exactement, le slavon ancien. Personne ne peut apprendre toutes ces langues, c’est impossible.
De manière régulière, une langue « internationale » s’impose, une koinè, permettant aux puissants du monde de se comprendre entre eux. Historiquement, il y eut le grec, le latin, le français, etc., jusqu’à l’hégémonie actuelle de l’anglais.
Pour être franc, je déteste, je hais et j’exècre la langue anglaise. Je la trouve horrible tant à l’écrit qu’à l’oral ; même si ces dernières années, j’avoue commencer à modérer mon propos à ce sujet. Néanmoins, je viens essayer d’être un minimum objectif ; j’écris bien « essayer ».
L’adage « Traduire, c’est trahir » fonctionne dans les deux sens : de la langue du document vers sa langue maternelle, mais également de sa langue maternelle vers la langue du document à produire. J’avoue, par expérience, que souvent la traduction d’une idée correctement exprimée en français, ma langue, était intraduisible en anglais. Pour écrire en anglais, il faut penser anglais, dit-on. Cela étant, mesure-t-on la signification de cette phrase ? Elle veut dire que l’on arrête de penser dans sa langue, reflet de sa culture, pour penser dans une autre langue, reflet d’une autre culture ; l’exercice demande de devenir un nouveau soi. C’est là que l’on ressent que la traduction est un métier, et pas quelque chose qui s’improvise en fonction des besoins du moment - j’exclus de mon propos les vrais polyglottes bien entendu.
On arrive au nœud du problème et à la conclusion de ce petit texte. Une langue n’est pas qu’une langue : c’est la messagère d’une pensée, comme nous le disait souvent l’un de mes professeur à l’université d’Artois, Jean-Pierre Arrignon. On ne peut pas jouer avec les mots d’une langue aussi facilement que l’on joue avec son ordinateur. Chaque mot est pesé par son auteur ou son traducteur, il véhicule un message qu’on ne peut s’amuser à déformer parce que l’on veut aller vite, parce qu’on ne comprend pas tout, et que l’on se dit « bon ! globalement ça passe ». Non, non, et non ! Les mauvaises traductions, donc une mauvaise compréhension, peut déclencher une guerre entre deux parties.
La langue dans laquelle est écrite une source, est de fait fondamentale. Si vous étudiez la Chine, vous ne pourrez pas faire l’économie du chinois. Si vous étudiez la Russie, vous ne pourrez pas faire l’économie du russe et de ses différents dialectes. On ne peut pas se contenter d’une traduction anglaise par fainéantise (comme je l’évoquais dans mon texte sur la fiabilité des sources), ou pire, se dire ça n’existe pas en anglais, donc ce n’est pas important. Une koinè est ainsi une bonne et une mauvaise chose, mais l’idéal, pour ceux qui le peuvent, d’apprendre d’autres langues, d’autres cultures..., et de partager leur savoir avec ceux qui ont du mal ou qui en sont incapables. Voilà, une belle idée altruiste ! Apprendre une langue étrangère, c’est pouvoir partager. Dommage que la koinè actuelle ne s’impose que pour de basses raisons mercantiles.
Maxime Forriez.
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