Dernière mise à jour : le 9 janvier 2024

Le baptême d’Olga (?) : un problème historique, un problème de sources

Date de publication : 08/10/2020

Aujourd’hui, un événement largement méconnu en France, mais qui peut illustrer la méthode historique de croisement des sources. Ces quelques lignes correspondent à un cours de J.-P. Arrignon, pris en note en fin d’année 2004, lorsque j’étais en maîtrise, cours qui fut la reprise d’un de ces articles datant de 1979. Je le précise, car je suis incapable de lire des textes en slavon, en grec ou en latin.

Quel est le problème ? Il s’agit bêtement d’un problème de date. Nous ne savons pas, malgré plusieurs sources écrites, quand eut lieu le baptême d’Olga. Celui qui souleva la question est Georg Ostrogorsky (1902-1976), l’un des grands noms de la civilisation byzantine.

Qui était Olga (entre 890 et 894 -969) ? Il s’agissait d’une princesse russe, femme du grand-duc de Kiev entre 914 et 945, Igor (878-945). Elle exerça la régence de son jeune fils de 945 à 959. Elle fut l’une des premières russes à se faire baptiser. Son baptême a la même signification pour les Russes que, chez nous, le baptême de Clovis, c’est dire son importance. Pourtant, comme Clovis, on ignore la date exacte du baptême, malgré des sources de première main. Je vais vous présenter ici six sources présentant six vérités différentes de l’événement.

En 957, Olga rendit visite Constantin VII (905-959) empereur d’Orient de 913 à 959. C’est l’événement raconté.1.

Constantin VII, dans De ceremoniis (958-959), raconta les réceptions qu’il avait données à la princesse russe à la fin d’année 957. Les raisons de sa venue étaient bien évidemment de nature géopolitique, les Russes assurant la protection de l’Empire d’Orient au nord de l’Europe. Toutefois, on ne sait rien des conversations privées qu’ils durent s’échanger. La princesse russe fut appelée archontia, mot grec signifiant « celle qui exerce la réalité du pouvoir de fait ». L’empereur décrit une délégation importante : huit hommes composant une garde prétorienne, le neveu d’Olga, les représentants personnels de son fils, vingt marchands, un prêtre appelé Grégoire et deux interprètes. Il l’appelait par son nom païen « Elga ». Il ne mentionne pas le baptême. Par contre, il fait état des marques exceptionnelles d’attentions dont Olga avait bénéficié. D’abord, après la présentation à la cour, elle put se rendre dans l’appartement privé de l’impératrice. Ensuite, elle fut autorisée à s’asseoir à la table de l’empereur, ce qui était pour les Romains, un très grand honneur. Enfin, elle ne fut pas astreinte à la triple proskynèse, preuve qu’elle était considérée comme un égal de l’empereur.

Les chroniques byzantines du XIe siècle ne donnent aucune référence chronologique. Elles nous apprennent qu’Olga, veuve d’Igor qui avait menacé Constantinople, était venue dans cette ville et s’y était faite baptiser. Par contre, son nom païen était toujours employé.

Dans La chronique des temps passées (ou chronique de Nestor), il y a la date du voyage : 955 et son nom chrétien est utilisé, « Hélène ». Deux aspects étaient soulignés : le récit du voyage et la drague pathétique de Constantin VII à son égard sous la forme d’un récit ironique ; la longue attente imposée à Saint-Mamamas. Suite au baptême, Constantin VII pourrait la demander en mariage. Le baptême est présenté comme un moyen pour Olga de refuser la demande en mariage, puisque, l’empereur étant son parrain et que le mariage entre parrain et filleule étant impossible, cela lui permit de rejeter habilement l’empereur.

Le moine Jacques, dans La commémoration et les louanges du prince Vladimir (vers 1070), nous informe sur la cause du voyage. Olga, « touchée par la grâce divine », prit l’initiative d’aller se faire baptiser à Constantinople. Elle prit comme nom de baptême « Hélène », prénom de la femme de Constantin. En effet, dans la tradition byzantine, le filleul porte le nom de son parrain. La date de la mort d’Olga est donnée : 969. Il précise qu’elle fut baptisée une quinzaine d’année avant celle-ci.

Dans Le Panégyrique d’Olga, on présente la personnalité forte d’Olga et le fait que ce furent les Russes qui choisirent le christianisme byzantin.

Dans Le récit du continuateur de Régimond de Prum, repris par les chroniqueurs du Xe-XIe siècles, dont l’auteur probable était Adalbert (vers 910-981), archevêque de Mayence, Olga fut baptisée à Constantinople sous le nom d’Hélène sous le règne de Romain II (939-963), empereur d’Orient de 959 à 963, fils de Constantin VII. Il fournit plusieurs informations utiles dans notre puzzle. En 957, Olga quitta Kiev. En 959, elle envoya une ambassade à Otton Ier le Grand (912-973), roi de Francia Orientalis de 936 à 973, empereur d’Occident de 962 à 973. En 962, Adalbert revint en catastrophe de Russie ; il faisait partie d’une délégation qui fut chassée par le successeur d’Olga. Toutefois, le texte d’Adalbert précise bien que, à cette date, le baptême semblait acquis pour Olga, car Svjatoslav (945-972), son fils, qui prit le pouvoir en 959, était resté païen.

2.

Que faire de toutes ses versions ? Si on se réfère aux sources les plus proches de l’action, Olga arriva probablement à Constantinople à la fin de l’été 957. Ce déplacement trouvait son origine dans deux raisons majeures : (1) préciser les traités de commerce de 944 ; (2) régler le problème militaire. D’une part, l’administration byzantine ayant été transformée par l’empereur d’Orient, Romain Lécapène (vers 870-944), qui régna entre 920 et 944, elle voulait vérifier et renforcer la validité des traités commerciaux, ce qui est illustré par la présence de vingt marchands. D’autre part, les Russes étaient des sortes de gendarmes tenant en respect les Petchenègues et les Khazars de la Volga. Petite précision pour comprendre, la Russie dont je vous parle correspondait au territoire de l’Ukraine actuelle. Les Russes assuraient la protection de l’Empire d’Orient par rapport à ces potentiels envahisseurs, tristement connus des Byzantins. Cela permettait à l’Empire d’Orient de se concentrer sur les mouvements arabes en Asie Mineure.

Par contre, il est peu probable qu’elle reçût le baptême à Constantinople en 957. Les sources plus tardives semblent mélangées des dates très proches. Il ne faut pas oublier que Olga fut canonisée. Hagiographie et récits historiques se sont certainement mélangés. Tout ce que l’on peut affirmer est qu’elle fut baptisée entre 957 (retour du voyage) et 962 (retour d’Adalbert). J.-P. Arrignon ressert l’intervalle entre 957 et 959 (date de la prise de pouvoir de Svjatoslav), et propose le lieu, Kiev, ce qui serait conforme à la version d’Adalbert. L’idée d’un mariage avec l’empereur venant de sa part est peu probable, car le mariage entre un(e) barbare et un(e) porphyrogénète était interdit par la tradition byzantine. Ce sont des récits visant à se moquer de Constantin VII.

Voilà ! Il était impossible qu’Olga fût baptisée lors de sa visite à l’empereur en 957. J’espère vous avoir fait comprendre, comme a pu le faire J.-P. Arrignon avec ses étudiants dont je faisais partie, qu’il ne faut jamais lire naïvement une source (historique) sans la croiser avec d’autres sources, de préférence multiculturelles (ce qui suppose savoir lire plusieurs langues). C’est ça la méthode historique : croiser scientifiquement des données humaines contradictoires et tenter d’en faire la synthèse en tenant compte de paramètres multifactoriels qualitatifs. Par ailleurs, il ne faut jamais lire une source de manière littérale. Sans un contexte culturel, géographique, historique, économique, sociale, militaire, etc., il est difficile de comprendre un texte du passé ; les risques d’anachronisme, de hiatus, d’interprétation excessive, de confusion, d’amalgame servant une idéologie contemporaine, etc. sont difficilement maîtrisables. J’espère aussi vous avoir fait comprendre que l’histoire (scientifique) n’est jamais écrite définitivement. De nouvelles sources (textes, matériels archéologiques, art, etc.), de nouveaux croisements permettent de corriger ce que l’on sait du passé, de le nuancer, et ça, jamais un ordinateur, aussi puissant soit-il, ne pourra le faire. Seuls les Hommes peuvent comprendre les Hommes.

Maxime Forriez.

Pour en savoir plus : https://www.persee.fr/docAsPDF/shmes_1261-9078_1979_act_9_1_1283.pdf

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