Le statut de la Nouvelle-Calédonie
Date de publication : 02/10/2020
Ce dimanche, la Nouvelle-Calédonie devra voter de nouveau pour le référendum de son autodétermination. Aujourd’hui, il est bon de faire une piqûre de rappel sur la situation géopolitique de la Nouvelle-Calédonie.
L’archipel français se situe à 18 000 km de Paris, 11 000 de Los Angeles et 2 000 de Sydney. Il appartient à l’Océanie mélanésienne. Il comprendre une île principale, Grande-Terre dont la superficie vaut deux fois celle de la Corse, et des poussières d’îles et d’atolls, dont les îles Loyauté (Ouvéa, Lifou, Tiga et Maré).
Vers 30 000 a.-C., les premières population venues du nord de Mélanésie s’installa en Nouvelle-Calédonie : les actuels Kanaks en sont leurs descendants. Vers 2000-1400 a.-C., la plupart des zones littorales de Basse-Terre étaient occupées. Ce fut une terre d’immigration, puisque, avant l’arrivée des Européens, la Nouvelle-Calédonie accueillit des habitants en provenance de la Nouvelle-Guinée et de la Polynésie.
Lors de sa découverte par James Cook (1728-1779) en 1774, l’île possédait 50 000 habitants. La France s’intéressa à la Nouvelle-Calédonie à partir de l’acquisition de la Nouvelle-Zélande par le Royaume-Uni au nom du traité de Waitangi du 6 février 1840.
Fin 1843, des missionnaires français débarquèrent en Nouvelle-Calédonie. On comptait alors entre 30 000 et 40 000 Mélanisiens.
Le 24 septembre 1853, le contre-amiral Febvrier-Despointes (1796-1855) y débarqua et proclama les îles de Grande-Terre et des Pins « colonie française ». Il fonda le port Port-de-France, rebaptisé Nouméa, le 2 juin 1866. Les îles de Lifou et Maré furent annexées en 1864, et celle d’Ouvéa en 1865. La passe de Dumbéa assure un accès au site portuaire de la rade de Nouméa.
En 1867, l’administration pénitentiaire décida d’ouvrir un bagne en Nouvelle-Calédonie. Jusqu’à là, seul le bagne de Cayenne, dont la construction fut décidée en 1852, était hors de France. La Nouvelle-Calédonie offrait un climat plus clément par rapport à la Guyane, et une nouvelle politique de peuplement pénitentiaire se mit en place. Entre 1867 et 1897, on dénombra environ 29 000 bagnards. Parmi eux, il y eut 4 000 insurgés de la Commune de Paris (1871), dont Louise Michel (1830-1905), Henri Rochefort (1831-1913) ou Élisée Reclus (1830-1905). Les Kabyles de l’insurrection algérienne d’El Mokrani du 16 mai 1871 y furent également envoyés. Ce furent ces forçats qui bâtirent Nouméa. Sur les 29 000 bagnards, environ 1 500 s’installèrent définitivement en Nouvelle-Calédonie. Le peuplement pénitentiaire à la française fut de fait un échec cuisant. Parallèlement, la Moselle et les deux départements d’Alsace étant devenus allemands en 1871, certains Alsaciens et Lorrains refusant leur nouveau régime s’installèrent en Nouvelle-Calédonie après avoir fui leurs biens. Les descendants des colons européens sont aujourd’hui appelés Caldoches.
Dès le départ, l’installation française fut conflictuelle. Le chef kanak Ataï mena la première révolte kanake contre les Européens entre 1878 et 1879. Elle fit environ 1 000 morts, dont 200 Européens et 800 Kanaks. Rien ne fut jamais simple en Nouvelle-Calédonie.
Le nickel, qui fit et fait la richesse de ce territoire, fut découvert par les géologues français Charles Émile Heurteau (1848-1927) et Jules Garnier (1839-1927) en 1864. Depuis, il est exploité sur la côte ouest de Grande-Terre à Poya, Moindah-Bourail, Népoui et Tontouta, ainsi que sur la côte est à Thio et est-Poro. L’exploitation minière s’opère à ciel ouvert.
Depuis, on découvrit du cuivre, du plomb, du zinc, du cobalt, du chrome, du fer et du manganèse. Si bien que la Nouvelle-Calédonie fut appelée le « Caillou métallifère ». Entre 1890 et 1910, la Nouvelle-Calédoine fut le premier producteur mondial de cobalt, en 1901, celui du chrome (dont l’exploitation pris fin dans les années 1960), etc.
L’exploitation du nickel emploie environ 4 000 personnes, ce qui représente 5 % des emplois salariés de l’île. Le métal est directement traité dans l’unique usine de Nouméa par la Société Le Nickel (S.L.N.). Le traitement sur place assure une rente plus importe que si le minerai était exporté brut.
Richesse, statuts différents entre Kanaks et Caldoches, il n’en fallut pas plus pour mettre le feu aux poudres dans les années 1980.
En 1946, l’archipel devint un territoire d’Outre-mer qui possédait une large autonomie par rapport à la métropole. Cela signifie que les lois votées par le Parlement ne sont pas applicables de plein droit, à l’exception des lois constitutionnelles et des lois relatives à la souveraineté nationale. Les assemblées territoriales doivent être consultées obligatoirement pour modifier la législation en vigueur sur l’île.
En 1953, le suffrage universel fit son apparition dans l’archipel. Il porta dans les assemblées territoriales l’Union Calédonienne, une alliance pluriethnique et autonomiste, dont le slogan était « Deux couleurs, un seul peuple ».
La Constitution de Charles de Gaulle permit aux territoires d’outre-mer d’obtenir un statut personnel constitutionnalisé. Pour bien comprendre la démarche de De Gaulle, il faut se rappeler que lors de la Seconde Guerre mondiale, il avait tout fait pour que le Pacifique ne tombât pas dans les mains des États-Unis. Il avait par conséquent bien conscient de créer une Constitution incluant les colonies. En héritage de cela, les Néo-Calédoniens disposent d’un statut personnel garanti par la Constitution du 4 octobre 1958. « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut de droit civil commun [...] conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé » (article 75). Il concerne essentiellement les droits de la personne et de la famille, ainsi que les droits patrimoniaux (naissance, décès, adoption, divorce, succession, etc.). Il reconnaît les formes traditionnelles d’organisation familiale et de transmission des biens. Ce statut s’applique sur le territoire néo-calédonien, mais sur le reste du territoire français. Actuellement, peu de Néo-Calédoniens ont opté pour le statut civil de droit commun, car lorsqu’ils le choisissent, il devient définitif. Le statut personnel n’empêche pas de bénéficier de la nationalité française, tout en étant soumis à ses obligations concernant les autres droits.
Géographiquement, l’île suit un modèle classique. Nouméa, la capitale au sud de Grande-Terre, est hypertrophiée par rapport au reste de l’archipel ; elle accueille 60 % de l’ensemble de l’archipel. Cette inégalité territoriale se ressent lors des votes. Le Nord de Grande-Terre et les îles Loyauté votent majoritairement pour la parti indépendantiste, tandis que le Sud de Grande-Terre demeure loyaliste par rapport à la République française.
Dans les années 1960-1970, une crise sociale émergea autour de l’exploitation du nickel. Basse-Terre possède 20 % des ressources mondiales de ce minerai. L’archipel connut alors une important immigration, notamment en provenance de Wallis-et-Futuna, archipel trop petit pour contenir toute sa population. Le travail vint à manquer, et une xénophobie se développa en réaction à cette immigration. La différence de richesse entre le nord et le sud de l’archipel devint insupportable. Le sud caldoche exerçait une domination sur le nord minier de Basse-Terre et les îles agricoles de Loyauté, terres des Kanaks. Un clivage communautaire fit alors son apparition.
Le problème n’était pas les mines à proprement dit, mais la possession des terres. Les 100 000 habitants ayant un statut personnel à l’époque se distribuaient en 341 « tribus », subdivisées en clans et rassemblées dans 57 districts coutumiers, regroupés en 8 réserves coutumières. Il faut rappeler que le statut personnel régit les héritages. Cette atomisation réduisait d’année en année la taille des propriétés. Pour régler le problème, il existe depuis 1978 un vaste programme de réforme foncière, chapeauté par l’Agence de développement rural et d’aménagement foncier (A.D.R.A.F.), créée en 1986. Son objectif est d’acquérir et de redistribuer les terres, afin de développer le foncier kanak.
L’attitude des Kanaks et des Caldoches se radicalisa dans les années 1970 par la création de deux partis politiques : le Rassemblement pour la Calédonie dans la République de Jacques Lafleur (1932-2010) et le Front de Libération National des Kanaks Socialistes de Jean-Marie Tjibaou (1936-2010).
Le F.L.N.K.S. voulut l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie à partir des années 1980. Entre 1984 et 1985, de graves émeutes commencèrent. Ce fut à partir de ce moment-là qu’une série de plans et de statuts transitoires virent le jour. En 1987, l’autodétermination fut alors posée, mais 94 % des Kanaks boycottèrent le référendum.
L’affaire de la grotte de Gossanah sur l’île d’Ouvéa fit monter la tension à son paroxysme. Une tribu prit les armes et des otages (les gendarmes de Fayahoué) le 22 avril 1988 pendant la campagne des élections présidentielles. Le 5 mai 1988, l’opération Victor lança l’assaut de la grotte ; elle fit vingt-cinq morts (19 Kanaks, 4 gendarmes et 2 militaires). Paradoxalement, la crise apaisa les esprits. Michel Rocard (1930-2016) rencontra Jean-Marie Tjibaou. Cette négociation aboutit à la signature des accords de Matignon du 26 juin 1988, approuvés par référendum à 80 % des votants. Le statut de l’archipel fut réglé pour dix ans, et une importante politique de rééquilibrage économique entre le nord et le sud de Basse-Terre fut entreprise. Malheureusement, les deux principaux leaders du F.L.N.K.S., Jean-Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené (1945-1989) furent assassinés par un extrêmiste kanak, le chef de la tribu de Gossanah pendant la commémoration du drame d’Ouvéa, le 4 mai 1989.
La réforme de 1988 fut également territoriale, puisqu’elle aboutit à la création de trois provinces : le nord de Basse-Terre, dite Province Nord, le sud de Basse-Terre, dite Province Sud, et la province des îles Loyauté. Chaque province est munie d’une assemblée provinciale muni d’un président et siégeant dans un chef-lieu (Koné au Nord, Nouméa au Sud et Wé pour les îles Loyauté). Dans chaque province, il existe comme en métropole des communes de droit commun : 14 au Nord, 18 au Sud et 3 pour les îles Loyauté. L’ensemble des trois assemblées provinciales forme le Congrès auquel furent ou seront transférées les compétences de l’État français.
Dix ans après, les accords de Matignon furent complétés par les accords de Nouméa du 5 mai 1998, signés entre Lionel Jospin (né en 1937), Jacques Lafleur et Rock Wamytan. Ce nouvel acte permit de constitutionnaliser le nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie et de permettre en place une longue période transitoire de vingt ans durant laquelle la quasi-totalité des prérogatives françaises sur l’archipel furent transférées à l’assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie. En 2018, il était prévu qu’un référendum sur l’autodétermination du territoire devait avoir lieu. Cet accord fut approuvé par référendum à 72 % des habitants du territoire avec un taux de participation de 74 %. Pour organiser les nouveaux dispositifs concernant la Nouvelle-Calédonie, le gouvernement fit voter les lois organique et ordinaire du 19 mars 1999.
Depuis la loi organique du 19 mars 1999, le Congrès élit un gouvernement composé de onze membres, qui élisent en leur sein un président. Pendant toutes ces années, le Congrès est divisée en trois groupes politiques : le F.L.N.K.S., représenté par Rock Wamytan (né en 1950) ; le Rassemblement pour la Calédonie (R.P.C.), fondé par Jacques Lafleur (1932-2010) et représenté par Isabelle Lafleur (née en 1954) ; le Rassemblement national de Nouvelle-Calédonie, représenté par Alain Descombels (né en 1953). Ce sont vraiment trois forces d’égale importance ; il est difficile de savoir si le territoire peut devenir indépendant dans de telles conditions politiques.
Le gouvernement néo-calédonien est compétent dans le développement économique du territoire, dans le domaine scolaire, dans le domaine culturel, dans le domaine de la santé et de l’action sociale, dans le domaine de l’environnement, dans le domaine public maritime, dans le domaine de l’aménagement de son territoire et dans le domaines de la jeunesse, des sports et des loisirs. Aujourd’hui, seules les compétences régaliennes de l’État (justice, ordre public, défense, monnaie et affaires étrangères) n’ont toujours pas été transmises au Congrès de Nouvelle-Calédonie. Pour cela, il faut qu’un référendum d’autodétermination aboutisse à la décision de l’indépendance du territoire.
Dans les années 2000, l’A.D.R.A.F. réussit la réforme des terres coutumières en les contenant dans les réserves autochtones. Parallèlement, les Groupements de droit particulier local (G.D.P.L) attribuent les terres dans le cadre des clans, des tribus et de districts. Ces entités, bénéficiant d’une personnalité juridique morale, peuvent exercer des activités économiques. En 2005, les terres coutumières couvraient 17 % de la superficie de Grande-Terre contre 10 % en 1978. Par contre, les îles Loyauté, Belep et des Pins eurent des terres qui devinrent totalement coutumières.
Le statut des terres coutumières est vraiment spécifique à la Nouvelle-Calédonie. Elles sont inaliénables, incessibles, incommutables et insaisissables. Leur localisation se surimpose aux découpages administratifs de communes et des provinces. C’est autour d’elles que la question de l’indépendance se joue.
Le 4 novembre 2018, on posa aux Néo-Calédoniens la question suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Avec un taux de participation de 80 %, ils furent 56,9 % à souhaiter rester rattachés à la France. La même question sera posée ce weekend, le 4 octobre 2020. Si elle aboutit à un résultat similaire, les Néo-Calédoniens auront le droit à un nouveau référendum en 2022.
Que dire du résultat de 2018 ? Il a surpris beaucoup de monde, car l’État avait réduit le corps électoral en faisant en sorte que les loyalistes soient surreprésentés (technique ayant fait ses preuves à Mayotte en 1976). N’avoir que 56,9 % était un taux bien bas par rapport à ce qui était entendu. Va-t-il passer en dessous de 50 % dimanche ? L’avenir nous le dira.
Maxime Forriez.
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