La gestion catastrophique de l’explosion de la Montagne Pelée en 1902
Date de publication : 01/10/2020
La Montagne Pelée est classée parmi les volcans les plus dangereux de la planète. C’est le quatrième volcan à risque du monde.
La France géra de manière très discutable la crise martiniquaise. Dans ce post, je vous propose la chronique d’une catastrophe évitable, mais nos dirigeants de l’époque, aveuglés par leur idéologie, leurs préjugés, firent tout pour qu’une catastrophe se produisît. Comme quoi, il ne fallut pas attendre le Covid-19 pour avoir des idiots bornés au pouvoir.
La chronologie comporte trois phases : la phase préliminaire annonçant l’éruption, la phase majeure de l’éruption et la phase finale de l’éruption (ou la catastrophe et le fiasco total de l’administration française).
La phase préliminaire présenta des secousses sismiques avec des activités de fumerolles dès février 1902. À la veille de la première éruption, le 8 mai 1902, l’île comptait 203 781 habitants. Elle fit 29 000 morts et raya de la carte la ville de Saint-Pierre. La phase majeure déroula entre le 8 mai et 30 août 1902. Des nuées ardentes dévalèrent le long du volcan. La phase finale, entamée le 31 août 1902, par la seconde éruption eut lieu, plus violente que la première, qui raya de la carte Morne-Rouge, Ajoupa-Bouillon, ainsi que les campagnes autour de Basse-Pointe, s’acheva en octobre 1902 par la formation d’une aiguille au sommet du cratère de la Montagne Pelée. Elle s’accrut de 15 m par jour et culmina à 417 m. Un tel précédent donna malheureusement le modèle de l’éruption éponyme : l’éruption péléenne. Il est à noter que l’érosion a déjà fait son œuvre et l’aiguille n’existe plus aujourd’hui.
Phase préliminaire (février 1902-8 mai 1902)
Toutes les activités préliminaires aurait dû alerter les autorités qu’un drame allait se produire : fumerolles, éruptions phréatiques, pluies de poussières et émission de vapeur d’eau. Si vous avez vu le film Pic de Dante, ce sont les mêmes signes et les mêmes comportements idiots d’aveuglement de la part des autorités. Le 2 mai 1902, l’éruption devint réellement magmatique avec une importante émission de cendres. Le 8 mai 1902, à 08h02, une puissante nuée ardente déferla sur les pentes de la Montagne Pelée et détruisit en quelques secondes Saint-Pierre.
À l’époque, Saint-Pierre était surnommée la « reine des Antilles » ou le « Petit Paris des Antilles », c’est dire que l’événement eut un retentissement dans le monde. La ville ne s’en est jamais remise de 26 011 habitants en 1902 ; elle passa à 3 000 en 1923 ; en 2012, on n’en comptait que 4 341. Au moment de l’éruption, toute la population de la ville fut anéantie : on dénombra plus de 28 000 morts asphyxiés ou brûlés. Il n’y eut que deux survivants connus. Louis-Auguste Cyparis (1875-1929) dit Sanson, condamné à huit jours de cachot à la suite d’une rixe avec la police. La petite ouverture de l’édicule dans lequel il fut enfermé, n’était pas tournée vers le volcan. Néanmoins, il ne fut retrouvé que le 11 mai, soit trois jours après l’explosion. L’autre survivant, Léon Compère (1874-1936) dit Léandre, le cordonnier de la ville, avait trouvé refuge dans sa cave. A posteriori, les ruines de Saint-Pierre, présentées comme une nouvelle Pompéi, furent régulièrement visitées par des touristes états-uniens.
La phase majeure (entre le 8 mai 1902 et le 30 août 1902)
L’île devait faire face à des problèmes logistiques d’envergure. Près de 22 000 sinistrés furent évacués vers Fort-de-France le 21 mai 1902 (soit 13 jours après l’explosion). Les conditions sanitaires de leur accueil fut épouvantable : une fièvre typhoïde résistant aux traitements sévissait. À cela s’ajoutait la situation économique de l’île. Les banques de Saint-Pierre, moteur financier de l’île, furent soufflées par l’explosion. L’activité sucrière représentait 50 % de la main-d’œuvre de l’île, essentiellement concentrée dans les réfugiés. À cela s’ajoutait une grande crise sucrière internationale. Les autorités martiniquaises durent renoncer à cultiver la canne à sucre sur sept communes.
À ce moment-là, l’autorité sur l’île était représentée par un gouverneur intérimaire, Gabriel Lhuerre (1855-1923), qui devait gérer la crise. Deux nouvelles éruptions eurent lieu le 20 et 24 mai 1902. On pensa alors à évacuer l’île, mais il n’y avait aucun bateau de disponible. L’activité du volcan semblant se calmait, Lhuerre voulait renvoyer les sinistrés chez eux. De son côté, l’académie des sciences de Paris envoya le professeur Alfred Lacroix (1863-1948) sur le terrain afin de faire un suivi du volcan et prévoir des moyens d’évacuer l’île d’urgence. L’avis scientifique fut sans appel. L’absence de végétation sur les pentes du volcan augmentait de manière significative le risque des lahars. Il fallait maintenir le statu quo. La mission scientifique quitta l’île à la fin du mois de juillet 1902.
Le 2 août 1902, Lhuerre, au mépris total de l’avis scientifique, décida seul de renvoyer les sinistrés chez eux. Il ne faisait que suivre les instructions sévères du ministre de l’économie de l’époque, qui, depuis Paris, ne comprenait rien à la situation. En effet, de Paris, les habitants des colonies étaient vus comme des fainéants qui prenaient n’importe quel prétexte pour arrêter de travailler. Je cite : les sinistrés étaient vus comme « souffrant d’apathie et d’indolence native incrédule et naturellement rétives à tout effort ». Imaginez si vous parliez des chômeurs comme ça aujourd’hui... Les ordres étaient idiots. En effet, travailler quoi? la majeure partie des plantations avaient été soufflées..., mais tels furent les ordres.
Le 7 août 1907, le ministre des colonies donna des instructions claires. « Les sinistrés doivent surtout compter sur eux-mêmes pour réparer leur désastre. En premier lieu, il conviendra de faire pénétrer dans les esprits que la catastrophe n’a pas créés de droits à une indemnité. Vous devrez vous préoccuper de réorganiser le travail le plus vite possible dans l’île et vous attacherez à faire cesser l’état de misère et d’inaction de la population des réfugiés ». Sympathique le ministère de l’époque, n’est-ce pas ? Je vois bien un ministre dire ça lors des inondations récurrentes du Sud de la France.
Le côté ubuesque ne s’arrête pas là. Le ministre des Colonies présidait le Comité officiel du secours aux victimes dont le siège était à Paris, très pratique lorsque l’on connaît la distance entre Paris et Fort-de-France. Le scandale est que ce comité disposait de sommes considérables inemployées, or les moyens d’urgence débloqués furent si faibles qu’ils avaient pourri davantage la situation : c’est cette somme qui fit décider Lhuerre de renvoyer les sinistrés chez eux en août 1902.
Et là, le scandale commença. Le 17 août 1902, l’activité reprit sur les pentes du volcan. Le 24 août 1902, un tremblement de terre eut lieu. Le 25 août 1902, un dôme d’andésite se forma dans le cratère. Face à ce déferlement, une délégation d’habitants de Morne-Rouge (à l’est de Saint-Pierre) et du Carbet (au sud de Saint-Pierre) demanda l’évacuation de leurs villages. Lhuerre les renvoya chez eux en le menaçant de leur supprimer leurs pensions alimentaires. De son côté, le maire de Grande-Rivière envoya deux télégrammes d’alerte au gouverneur intérimaire qui restèrent sans réponse.
Et l’inévitable se produisit... Le 30 août 1902 à 13h00, le commandant de la brigade de Basse-Pointe téléphona pour prévenir les autorités de phénomènes inhabituels au niveau du volcan. Toujours sans réponse.
La phase finale (du 31 août 1902 au mois d’octobre 1902)
Le 30 août 1902 à 21h00, l’éruption, les explosions et les nuées ardentes commencèrent. Les lueurs et les détonations furent perçues jusqu’à la Guadeloupe, située à plus de 300 km de la Martinique. La Guadeloupe reçut également une pluie de cendres en provenance de l’éruption martiniquaise. L’éruption fit environ 2 000 morts, qui auraient pu être évités sans l’aveuglement du gouverneur intérimaire et des autorités centralisées. Il fallut abandonner environ 200 km² de terres parmi les plus fertiles de l’île.
Malgré l’horreur de la catastrophe, aucune indemnité ne fut versée aux sinistrés. Désormais, on se souvenait que le volcan n’était pas éteint. De fait, dès le volcan tousse, l’évacuation de l’île est décrétée. En août 1929, le volcan se réveilla de nouveau. En septembre 1929, des explosions se produisirent. En octobre 1929, la population de toutes les villes du nord fut évacuée. La crise éruptive prit fin en 1932.
L’administration et le gouvernement français ont une dette de sang envers les Martiniquais. « L’histoire est une mémoire, et la mémoire est bien utile pour se conduire » (Georges Duby). Avant 1902, il eut au moins trois éruptions connues : 1635, 1792 et 1851-1852. Toutefois, il eut fallu la grande catastrophe et la gestion minable de l’État pour organiser des plans d’évacuation en cas d’éruption, plans mis en œuvre lors de l’éruption de 1929. Néanmoins, aujourd’hui encore, les Martiniquais semblent avoir « oublié » le volcan, et il est probable que, en cas de catastrophe, ce soit la même gestion que la crise de 1902. Comme quoi, les nuls au pouvoir et les mémoires de poisson rouge, ça ne date pas d’aujourd’hui...
Maxime Forriez.
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