La polygamie chez les rois Francs (461-751)
Date de publication : 30/09/2020
Aujourd’hui, un sujet plus léger ! Après avoir vu cette semaine combien coûtait la section d’un doigt, je vais vous donner un aperçu de la polygamie chez les Francs, et le bazar qu’elle engendre pour la succession de la ou des couronnes.
Quelques éléments de contexte sont nécessaires. Au temps des Mérovingiens, la polygamie était acceptée, tolérée par l’Église. La monogamie ne s’imposa qu’au concile de Latran en 1215. Ce fut le concile qui fixa les dogmes, les règles et les rites de l’Église catholique. Entre autres choses, y furent décidés la monogamie dans le cadre d’un mariage, qui se distinguait de l’ordination, impliquant le célibat des membres du clergé. Nul homme ne pouvait être marié et ordonné à partir du XIIIe siècle, mais avant cela restait parfaitement possible et toléré. Le monde des Mérovingiens était par conséquent très éloigné du Moyen Âge classique.
Une seconde remarque doit être faite. La polygamie s’exerçait dans le cadre d’un mariage chrétien, peu différent du mariage païen à l’époque, ou de concubines. Tout enfant d’une épouse ou d’une concubine pouvait prétendre à la succession du roi. Je rappelle que, au temps des Mérovingiens, le Regnum francorum était partitionné en fonction du nombre d’héritiers survivants.
Attention ! Prêt à avoir mal au crâne ! Voici les rois mérovingiens qui eurent plusieurs femmes.
Clovis Ier (vers 466-511) eut deux femmes : Évochide de Hérule (vers 462-vers 520) et (sainte) Clotilde (vers 473/474-545). Il est possible qu’il eût d’autres maîtresses, mais leurs noms ne nous sont pas parvenus. Malgré tout, sa succession fut simple. À sa mort, il n’y avait que quatre fils : un d’Évochide et trois de Clotilde. Le premier était Thierry Ier (entre 480 et 485-534), roi de Reims. Les trois autres étaient : Clodomir (vers 495-524), roi d’Orléans, Childebert Ier (vers 497-558), roi de Paris, et Clotaire Ier (vers 498-561), roi de Soissons, puis roi des Francs entre 558 et 561.
Clotaire Ier eut au moins sept femmes. On a pu écrire qu’il avait eu autant de maîtresses que de gauloises, une affirmation aussi improbable qu’invérifiable... Ce qui est certain, c’est qu’il en eut suffisamment pour que Grégoire de Tours nous en cite au moins sept : Vultrade (530-570) avec qui n’eut aucun enfant connu ; Gondique (?-?), l’ancienne femme de son frère Clodomir avec qui il eut trois enfants ; Arnegonde (vers 516-entre 574 et 580) avec qui eut un fils ; Chusine (?-?) avec qui il eut un enfant ; Ingonde (vers 499-vers546), sœur d’Arnegonde, avec qui il eut six enfants ; (sainte) Radegonde de Poitiers, avec qui il n’eut aucun enfant ; une femme inconnue, avec qui il aurait eu un fils. Les trois enfants qu’il eut avec Gondioque était : une fille Clodeswinthe (?-?), Gondebaud (?-?) qui dirigea l’Aquitaine entre 584 et 585, et Gothard (?-?). Il est difficile de savoir ce qu’il leur est arrivé, mais ils furent écartés de la succession. Le fils d’Arnegonde était Chilpéric Ier (entre 525 et 534-584), époux de Frédégonde. Le fils qu’il eut avec Chusine, Chramn (entre 520 et 540-560), fut assassiné par lui-même, suite à un différend. Ce fut Ingonde qui enfanta les autres rois : Gonthier (vers 517-?), Childéric Ier (vers 518-?), qui moururent certainement avant leur père, Caribert Ier (vers 519-567), Gontran (vers 528-592), Sigebert Ier (535-574), époux de Brunehaut, et une fille Clodosinde (?-vers 567). Le dernier fils connu de Clotaire Ier était Gondovald (entre la fin des années et le début des années 550 - ?) ; il se rebella contre ses frères, mais c’est tout ce que l’on sait, mis à part, qu’il ne fut pas roi.
Son frère Thierry Ier eut deux femmes : Eusthère de Wisigothie (?-?), vraisemblablement une concubine avec qui il eut son héritier, Thibert Ier (vers 496-548), roi de Metz ; une seconde femme avec qui il eut une fille Théodeohilde (entre 485 et 490-534).
Thibert Ier eut trois femmes : une femme dont le nom est inconnue, avec qui il n’eut aucun enfant ; Deoteria (?-?), qu’il répudia et avec qui il eut son héritier, Thibaut Ier (vers 535-555), roi de Reims et co-roi de Burgondie ; Wisigarde (510-537 ou 541), avec qui il eut une fille Berthovère (?-?). Il est amusant de savoir que son fils, Thibaut Ier, épousa la sœur de Wisigarde, Vuldetrade, ex-femme de Clotaire.
Ça va, vous suivez ? Quelle famille ! Les autres fils de Clotaire eurent également plusieurs femmes, mais, étant donné, qu’ils n’eurent que des filles, leur descendance est moins connue, mais il est certain qu’elle ensemença toute l’Europe.
Gontran eut trois femmes : Marcatrude (?-vers 566) avec qui il eut un fils qui mourut peu après sa naissance en 566 ; Austregilde (?-580) avec qui il eut quatre enfants : Clotaire (vers 567-577), Clodomir (vers 569-577), une fille Clotilde (vers 573-600) et Clodeberge (vers 575-?) ; Vénérande (?-?), une concubine, avec qui il eut Gondebaud (vers 561-vers 566). Aucun de ces fils n’atteignit l’âge adulte. Clotaire et Clodomir moururent de la peste. Clodeberge mourut également jeune. Gondebaud fut empoisonné par Marcatrude. Bref, par le traité d’Andelot en 587, il dut se résigner à adopter son neveu Childebert II afin d’en faire son héritier.
Caribert Ier eut quatre femmes : Ingeberge (vers 519-589) avec qui il eut une fille Berthe (?-?) ; Méroflède (?-?) avec qui il eut une fille Bertheflède (?-?) ; Marcowefa (?-567), sœur de Méroflède ; Théodechilde (?-?) avec qui il eut une fille Clotilde (?-?). On peut noter que Méroflède et Marcowefa étaient sœurs. Pour les avoir épousées et pour avoir épousé une nonne (Marcowefa), il fut excommunié ; il dut les répudier. Bref, il n’eut que des filles. À sa mort, ses trois frères se partagèrent son royaume. La descendance de Caribert fut assurée par Berthe qui épousa le roi du Kent, Ætherlberth (vers 560-616), et elle se perd au VIIIe siècle en Grande-Bretagne.
Chilpéric Ier eut trois femmes : Audovère (vers 530-580), avec qui il eut cinq enfants ; Galswinthe (vers 545-568), avec qui il n’eut aucun enfant ; Frédégonde, avec qui il eut six enfants. Les enfants d’Audovère étaient : Thibert (vers 548-551 - 573), Mérovée (?-577), qui épousa Brunehaut, Clovis (?-580), assassiné par Frédégonde, deux filles Basine (vers 560-vers 620), violée par les hommes de Frédégonde en 580, et Childesinde (?-?). Les enfants de Frédégonde étaient : une fille Rigonde (vers 569-après 589), Samson (?-?), Dagobert (?-?), Chlodebert (?-?), Clotaire II (584-629) et Theoderic (?-?). Seul Clotaire II survécut. Il refit l’unité de tous les Francs.
Clotaire II eut trois femmes : Haldetrude (?-?), avec qui il eut deux enfants ; Bertrude (?-?), avec qui il eut trois enfants ; Sichilde (?-?), avec qui il eut un enfant. Les enfants de Haldetrude étaient : Mérovée (vers 598-599 - 604) et Emma (?-?), qui épousa Eadbald (?-640), roi du Kent (tout comme son ancêtre Berthe, sa descendance se perd à partir du VIIIe siècle). Les enfants de Bertrude étaient : Berthe (?-?), Dagobert Ier (vers 605-639) et un fils (?-vers 617). Le fils de Sichilde était Caribert II (vers 606-610 - vers 632). À sa mort, il ne restait que Caribert II, roi d’Aquitaine, et Dagobert, roi de Neustrie, de Bourgogne et d’Austrasie, puis roi de tous les Francs. On peut noter que Caribert II ne semble pas avoir eu d’épouse, fait suffisamment rare pour être signalé.
Dagobert Ier eut cinq femmes : Gomatrude (598-630), avec qui il n’eut aucun enfant ; Wulfégonde (?-?), avec qui il n’eut aucun enfant ; Berchilde (?-?), avec qui il n’eut aucun enfant ; Nanthilde (608/610-642) avec qui il eut un fils ; Ragnétrude (?-?), une concubine avec qui il eut un fils. Le fils de Nanthilde, Clovis II (634-657), devint roi de Neustrie et de Bourgogne, tandis que le fils de Ragnétrude, (saint) Sigebert III (630-656) devint roi d’Austrasie. À partir de ces derniers, les rois furent plus imprégnés par la religion chrétienne, et semblent avoir abandonné la polygamie, mais il est difficile de l’affirmer, car nous ne disposons que peu d’informations sur les derniers Mérovingiens.
Cette multiplication d’enfants rendait difficile la succession. Comme je vous l’ai partagé dans un post spécifique, ce qui évitait l’éclatement était le concept juridique de Regnum francorum. Sous les Carolingiens, les partages furent régis de la même manière, mais le nombre d’héritiers commençait à diminuer nettement par rapport aux Mérovingiens.
La primogéniture mâle, mise en place empiriquement par Hugues Capet (vers 939/941 - 996) à la fin du Xe siècle, en donnant la primauté de la couronne du royaume, au fils aîné eu avec l’épouse légitime, permit d’éviter la partition des terres. Ce modèle fut reproduit dans la totalité des seigneuries, comtés, duchés et principautés. Toutefois, il eut des variantes régionales, mais l’idée était de conserver l’héritage en entier plutôt que le diviser. Une seconde nuance doit être apportée. La primauté de l’aîné ne signifie pas que les cadets et benjamins n’avaient rien. En général, ils avaient le droit à un apanage, une rente à vie, etc., mais rarement des terres. De fait, un partage inégal avait lieu, mais cela restait un partage des biens.
J’espère vous avoir un peu amusé avec les histoires davantage sexuelles qu’amoureuses de nos lointains rois. Leur but était d’assurer une descendance à tout prix, même s’il fallait tuer leurs propres enfants, lorsqu’une épouse ou concubine était répudiée. Un jour, je vous parlerai des coucheries des Romains, et vous y verrez une certaine similitude, mais ceci est une autre histoire
Maxime Forriez.
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