Commentaire d’un extrait de la loi salique (507-511) : titres XVII, XXIX et XLI
Date de publication : 28/09/2020
Texte :
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Titre XVII. Des blessures
- Celui qui a blessé quelqu’un ou voulu le tuer (et que le coup n’ait pas atteint son but), si la preuve peut en être apportée, sera jugé à demi-coupable et paiera 2 500 denier qui font 62 sous.
- Celui qui a tenté de frapper quelqu’un d’une flèche empoisonnée (et que le coup n’ait pas atteint son but), si la preuve peut en être apportée, paiera 2 500 deniers qui font 62 sous.
- Celui qui a frappé un homme de telle sorte que du sang se répande sur le sol, si la preuve peut en être apportée contre lui, sera jugé coupable et paiera 600 deniers qui font 15 sous.
- Celui qui a frappé quelqu’un à la tête de telle sorte que le cerveau soit mis à découvert, paiera 600 deniers qui font 15 sous.
- Si trois os du crâne qui protègent le cerveau sont fracturés, il paiera 1 200 deniers qui font 30 sous.
- Si la blessure a été portée entre les côtes ou au ventre de sorte qu’elle atteigne les organes internes, le coupable paiera 1 200 deniers.
- Si la plaie reste ouverte et que la victime ne recouvre pas la santé, il sera jugé à demi-coupable et paiera 2 500 deniers qui font 62 sous.
- Si un homme libre frappe un autre homme avec un bâton sans que le sang coule, il paiera pour chacun des trois premiers coups 120 deniers qui font 3 sous.
- Si le sang coule, il versera la même conception que s’il l’avait blessé avec une arme en fer, c’est-à-dire 600 deniers qui font 15 sous.
[…]
Titre XXIX. Des mutilations
- Si quelqu’un arrache à autrui une main ou un pied ou un œil ou lui coupe le nez (et que cela aura été prouvé contre lui) (mallobergo sicti), qu’il soit condamné à une amende de 4 000 deniers qui font 100 sous.
- Si quelqu’un tranche la main et que la main coupée continue à pendre, qu’il soit condamné à une amende de 2 500 deniers qui font 62,5 sous.
- […]
- Si quelqu’un arrache à autrui un pouce de la main ou du pied… 2 000 deniers qui font 50 sous.
- Si le pouce coupé continue à pendre,… 1 200 deniers qui font 30 sous.
- S’il arrache le deuxième doigt, à savoir celui qui sert à tirer la flèche de l’arc,… 1 400 deniers qui font 35 sous.
- Si quelqu’un arrache à autrui, en un même coup, les trois doigts suivants,… 1 800 deniers qui font 45 sous.
- Pour deux doigts, 35 sous.
- Pour un doigt, 30 sous.
[…]
Titre XLI
- Si quelqu’un a tué un Franc libre ou un Barbare qui vit sous le régime de la loi Salique et que cela aura été démontré contre lui, qu’il soit condamné à une amende de 8 000 deniers qui font 200 sous.
- S’il l’a jeté dans un puits ou noyé, qu’il soit condamné à une amende de 24 000 deniers qui font 600 sous. (Qu’il soit condamné pour n’importe quelle manière de cacher le corps comme nous l’avons dit plus haut).
- S’il ne l’a pas caché, qu’il soit condamné à une amende de 8 000 deniers qui font 200 sous.
- S’il l’a recouvert de branches ou de claies ou s’il l’a couvert pour le cacher de n’importe quel objet (et que cela aura été prouvé contre lui), qu’il soit condamné à une amende de 24 000 deniers qui font 600 sous.
- Si quelqu’un a tué celui qui fait partie de la truste royale (ou une femme libre) (et que cela aura été prouvé contre lui), qu’il soit condamné à une amende de 24 000 deniers qui font 600 sous.
- […]
- […]
- Si un Romain, « convive du roi », a été tué (et que cela aura été prouvé contre lui), qu’il soit condamné à une amende de 12 000 deniers qui font 300 sous.
- Si un Romain propriétaire (qui n’était pas « convive du roi ») a été tué et que celui qui l’a tué a été confondu, qu’il soit condamné à une amende de 4 000 deniers font 100 sous.
- Si quelqu’un a tué un Romain tributaire (et que cela aura été prouvé contre lui, qu’il soit condamné à une amende de 2 500 deniers qui font 62,5 sous.
[…] »
Pactus Legis Salicae, titres XVII, XXIX et XLI, éd. K. A. Eckhardt, M.G.H., Legum Sectio I, Legum nationum germanicarum, t.4, Hanovre, 1962, p. 75-80, 112-117 & 154-161
Le Moyen Âge, sous la direction de M. Kaplan, t. 1, M. Kaplan, C. Picard & M. Zimmermann, IVe-Xe siècle, Rosny, Bréal, 1994, p. 146 [Grand Ampli]
Commentaire :
Aujourd’hui, je vais vous commenter quelques titres de la loi salique. Nous avions vu dans l’un des posts précédents que la loi salique avait écarté les femmes de la succession du royaume de France au début du XIVe siècle, mais je vous avais précisé que cette loi était bien plus large. J’ai retrouvé un vieil exposé que j’avais fait en 2002 sur lesdits titres. Je vous propose ici le commentaire que j’en avais fait, revu et corrigé.
La loi salique est un document historique de nature diplomatique. Il s’agit de la plus célèbre des lois barbares qui correspond à un assemblage de textes juridiques aux amendes méticuleusement fixées. Elle demeure la plus ancienne loi germanique ; elle fut traduite en latin, si l’on excepte quelques « gloses malbergiques » qui furent écrite en « langue salienne ».
Dans son intégralité, la loi se décompose en trois phases de rédaction : (1) les quarante-quatre premiers titres sont les plus anciens (ici j’en commenterai deux) ; (2) les titres 45 à 65 correspondent à une deuxième phase d’écriture (ici j’en commenterai un) ; (3) les titres 66 à 78 finalise la loi et sont plus tardifs. Contrairement à d’autres textes, ici, nous possédons 87 manuscrits répartis dans toute l’Europe de ce texte. Il est par conséquent relativement simple de l’étudier en les comparant minutieusement.
La version que j’ai eue à étudier est celle proposée par K. A. Eckhardt en 1962 qu’il obtint en réunissant quatre de ces manuscrits qui reproduirait, selon lui, le texte original rédigé sous le règne de Clovis Ier (481-511). Cette loi primitive est appelée Pactus Legis Salicae. D’après Eckhardt, elle aurait été rédigée entre 507, date de la victoire de Vouillé sur les Visigots, et 511, date de la mort de Clovis. Cette théorie n’est toutefois pas partagée par l’ensemble des historiens, mais tous sont d’accord pour affirmer que la loi salique fut rédigée sous le règne de Clovis. En effet, par ses conquêtes, il avait brassé un nombre incalculable de peuples et d’ethnies ; les problèmes juridiques étaient nombreux, et il fallait les régler.
De quelle manière la loi salique régit-elle le Regnum francorum ? Pour y répondre, deux axes peuvent être envisagés : un essai pour comprendre le droit germanique et voir celui-ci comme un miroir d’une société germano-romaine en pleine mutation.
Le droit germanique évaluait un degré de culpabilité dans le cadre d’une procédure stricte, et si le prévenu est déclaré coupable, il devait payer une peine prévue par la loi salique.
Le droit germanique reconnaissait divers degré de culpabilité. D’après le texte, il distinguait au moins les « coupables » des « demi-coupables ». Le coupable était celui qui était en faute au regard de la loi pénale ; c’était celui qui avait commis une infraction pour laquelle il devait répondre. Le demi-coupable était celui qui avait voulu commettre une faute, mais il avait échoué dans sa réalisation. De fait, pour les Francs, une partie seulement devait être punie. La nuance apportée par le terme « demi » ne doit pas être minorée. Dans le même sens, on parlait d’hommes « demi-libres » ; entre les hommes libres et les esclaves. La société germanique était une société qui avait un sens profond de la hiérarchie.
De quelle manière établissait-on la culpabilité d’un homme ? Comme aujourd’hui, par des « preuves », le terme est clairement envoyé dans la loi salique. Toutefois, le terme renvoie à une réalité tout autre. Le premier type de preuve était les aveux, formulés dans un écrit signé par l’accusé qui était immédiatement reconnu coupable. Toutefois, dans des cas exceptionnels et rares, les coutumes germaniques permettaient aux accusés de pouvoir se disculper en faisant appel à des cojureurs. Ces derniers n’étaient pas des témoins au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais des personnes devant témoigner de la moralité et de l’honorabilité de l’accusé, deux notions fondamentales dans le droit germanique. En général, c’étaient des membres de la famille de l’accusé qui ne connaissait même pas la raison du procès et, encore moins, les griefs retenus par l’accusation. De fait, contrairement à aujourd’hui, c’est une procédure totalement accusatoire ; on présume toujours que l’accusé est coupable. Le second type de preuve était apporté par une ordalie, un jugement de Dieu. En s’en remettant à Dieu, personne ne pouvait pas imaginer que Dieu permît au menteur de gagner. L’ordalie était de deux types : l’ordalie unilatérale et le duel judiciaire.
L’ordalie unilatérale consistait à aller chercher une pierre ou un anneau au fond d’un chaudron d’eau bouillante, de serrer un fer rouge, etc. Si la cicatrice infligée avait un bon aspect au bout d’un certain temps, l’accusé était proclamé innocent. Si le serment de cojureurs était faux, la coutume burgonde du duel judiciaire avait lieu. L’accusé et le plaignant accusateur se livraient un combat singulier ; le vainqueur étant celui qui disait la vérité. Néanmoins, les recherches récentes montrent qu’il faut minimiser le rôle des ordalies dans la société mérovingiennes. Par exemple, lorsqu’un méfait pénalement répréhensible était commis, la société, c’est-à-dire le village, savait si c’était vrai ou faux. Lors d’une ordalie unilatérale, on pouvait soumettre au prévenu un « faux fer rouge », dont on a retrouvé les traces archéologiques. Ainsi, le prévenu était brûlé au premier ou deuxième degré et ne risquait pas la mort certaine d’une brûlure au troisième degré.
Si l’accusé était déclaré coupable, il devait en subir la peine. Les peines obéissaient au principe germanique de la wergeld, c’est-à-dire un prix, une amende et le fredum pour la famille plaignante (le prix de la paix). « La liberté se dose et s’évalue », écrivait Jean-Cuvilliers dans son Histoire de l’Europe occidentale au Moyen Âge. L’accusé devait par conséquent s’acquitter d’une « amende ». La wergeld avait pour but d’éviter la faida, la vengeance du clan, c’est-à-dire des guerres privées entre familles qui compromettaient l’équilibre du Regnum francorum, dont la plus grande déstabilisation se produisait lors des affrontements entre les membres de la famille royale (cf. Brunehaut et Frédégonde). De fait, la wergeld avait pour objectif de réduire les violences de l’époque, de les canaliser tant que faire ce peut. Au titre XVII, les articles 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 évoquent du « sang », une « plaie » qui « reste ouverte », une « cerveau… mis à découvert », un « homme qui tape sur un autre avec un bâton », et de coups qui « atteignent les organes internes ». De plus, le titre XLI en ses articles 2, 3 et 4 explique que, si l’on n’enterrait pas les morts, qu’on se contentait de les cacher, les laisser pourrir sur place sans être enterrés, était passible d’une amende. Ce passage reprenait d’ailleurs des éléments du droit romain qui interdisait cette pratique : tout personne tuant son ennemi se devait de l’enterrer. Lorsque la wergeld avait été prononcée, mais l’accusé ne pouvait s’acquitter de l’amende et du fredum, la faida pouvait être pratiquée par la famille de la victime. Néanmoins, l’accusé subissait plus souvent la seconde option, sa réduction à l’état d’esclave. Pour finir, le fredum était versé pour les deux tiers au roi des Francs et pour le tiers au comte, jugeant au procès au nom de ce dernier.
Le moins que l’on puisse dire est que cette violence engendra une nouvelle société. En lisant les extraits de la loi salique commentés, on peut sentir l’émergence d’une nouvelle hiérarchie sociale, la nature guerrière de celle-ci et des indices d’un problème monétaire.
La nouvelle hiérarchique mit en place à son sommet un roi germanique, ici le roi des Francs. Cette hiérarchie se caractérisait par un prix des hommes qui la composait. Au premier rang après le roi, un membre de la « truste royale » (titre XLI, article 5), c’est-à-dire de la cour, valait 24 000 deniers. Au deuxième rang après le roi, un « Romain, convive du roi » (titre XLI, article 8), c’est-à-dire mangeant à sa table, valait 12 000 deniers. Cela prouvait au passage que les Romains étaient parfaitement intégrés dans cette société en mutation. Au troisième rang après le roi, on avait le « Franc libre » et le « Barbare qui vit sous le régime de la loi salique » (titre XLI, article 1) qui valait 8 000 deniers. C’est certainement la catégorie la plus intéressante, car les Francs ne se considéraient déjà plus comme des Barbares dès Clovis. La précision appliquée « au Barbare » vient corser l’application du texte. En effet, la loi salique ne s’appliquait qu’au Barbare qui la reconnaissait. Les procès débutait toujours par la question suivante : sub que lege vivis ?, sous quelle loi vis-tu ? Ainsi, tout Romain pouvait être jugé par le Bréviaire d’Alaric, tout Burgonde, par la loi Gombette, etc. Le comte se devait d’appliquer la loi correspondant aux origines de l’accusé. Toutefois, la raison pour laquelle Francs et Barbares valaient le même prix, était une astuce juridique afin de limiter les faida. Au quatrième rang après le roi, le « Romain propriétaire foncier » (titre XLI, article 9) valait 4 000 deniers. Au cinquième rang après le roi, le « Romain tributaire » (titre XLI, article 10), c’est-à-dire payant des impôts au nouvel ordre, valait 2 500 deniers. Vous me ferez remarquer qu’il n’était pas bon d’être romain à l’époque. Grossière erreur d’interprétation, les Romains valaient moins cher simplement parce qu’ils ne pratiquaient pas la faida. Il est remarquable que le texte leur fasse une place si grande. Cela prouve la nécessaire entente entre les Romains et les Francs.
Le titre XXIX traite des blessures. Si on va au-delà de ce qui est écrit, on peut bien sentir l’aspect guerrier de la société franque. Le tarif fixé pour une main, un pied, un œil ou un nez était très élevé, parce que c’était une société dans laquelle ces membres étaient capitaux pour survivre. La « main » servait à tenir l’épée, bander l’arc, des instruments de la vie quotidienne. L’œil servait à viser, à savoir où se positionner lors d’un combat. Même si on avait la chance devenir borgne, la vision d’un œil unique est plus mauvaise que si on a ses deux yeux. Le pied est nécessaire pour courir sur un champ de bataille. Quant au nez, on sait que l’odorat de nos lointains ancêtres était beaucoup plus développé que le nôtre. Il servait notamment dans le cadre de la chasse. Le texte insiste fortement sur l’usage de l’arc. Il était un outil fondamental pour survivre au temps des Francs. Il servait aussi bien à se défendre qu’à chasser, or chasser, c’est se nourrir. De facto, qui ne peut plus chasser, meurt de faim. C’est pour cela que couper l’index (titre XXIX, article 6) dispose d’une amende très élevée de 1 400 deniers. Quant au pouce, je vous mets au défi de tenir une épée sans pouce ; la loi salique prévoyait des amendes conséquentes de 2 000 (si le pouce est tranché net) ou 1 200 deniers (si le pouce pend, qu’il est toujours attaché à la main) (titre XXIX, articles 4 et 5).
Pour finir, les extraits commentaient laisser apparaître un problème monétaire. Les Francs n’avaient pas de monnaie ; ils continuaient à utiliser la monnaie romaine. En effet, les Barbares utilisaient davantage le troc que la monnaie. Par ailleurs, ils considéraient que la monnaie était une institution impériale (un peu comme nos politiques actuels avec l’euro, on ne peut pas remettre en question la monnaie de l’empereur siégeant à Francfort…). À la différence des rois du Moyen Âge classique et du Bas-Moyen Âge, la monnaie ne servait à Clovis pour faire connaître son effigie aux habitants du Regnum francorum. À l’avers de ces pièces, un portrait de l’empereur byzantin figurait ; au revers, une Victoire ailée portant triomphalement une croix et terrassant l’ennemi serpentiforme (c’était une référence à l’hérésie arienne). Cette monnaie romaine reposait sur un système bimétallique (l’or, le sou ; l’argent, le denier). Le texte permet de déterminer qu’un sou vaut quarante deniers. C’était un système qui fonctionnait avec une base 40. Au titre XVII, on peut toutefois noter une erreur de conversion aux articles 1, 2 et 7, puisqu’il y est écrit que 2 500 deniers valent 62 sous, or, si on fait le calcul, on trouve 40,32, et non 40. Pour retrouver 40, il suffit de voir que 2 500 deniers valent 62,5 sous, que l’on retrouve de manière correcte à l’article 10 du titre XLI. Est-ce une erreur de traduction ? Cela prouve-t-il la relativité des chiffres à cette période ? Est-ce un défaut dans le texte d’origine ? Difficile de trancher en ayant qu’une transcription.
Pour conclure, le droit germanique peut paraître violent, mais il répond à d’autres violences, notamment celles engendrées par les faida. La loi salique est le reflet d’une société en mutation qui établissait une nouvelle hiérarchie sociale aux mœurs guerrières. Elle s’écrit dans la tradition germanique de la wergeld. Toutefois, elle ne demeure qu’un texte de lois parmi tant d’autres. Néanmoins, cela ne doit pas cacher sa réussite : limiter les faida au strict minimum, et, en cela, elle est bien supérieure aux autres lois barbares. À l’avènement d’Hugues Capet en 987, la loi salique était quasiment tombée dans l’oubli. Jusqu’au jour où le trône de France devait passer entre les mains du roi d’Angleterre, Édouard III, en 1328. Les juristes français déformeront alors l’expression « terre salique » en « terre » tout court, et, par extension, ils affirmèrent « que femme ni par conséquent son fils ne peut par coutume succédait au roi de France ». Cette décision fut à l’origine de la guerre de Cent ans entre 1337 et 1453. Aux Temps moderne, elle devint une « loi fondamentale du Royaume », proto-forme d’une Constitution coutumière, mais ceci est une autre histoire.
Maxime Forriez.
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