La fiabilité d’une source
Date de publication : 14/09/2020
Nous vivons une époque dans laquelle la fiabilité d’une source se pose sans cesse. Comment être certain qu’un document, peu importe sa nature, ne nous raconte pas n’importe quoi ? Ceux qui, comme on fait des études d’histoire, ont appris des méthodes qui, à l’heure du numérique tout puissant, permettent de trier, hiérarchiser et traiter les informations contradictoires qui nous parviennent. En voici quelques éléments.
Pour illustrer le propos, je prendrais une source basique, un texte, mais la méthode est adaptable pour une image ou des données statistiques. Imaginons que ce texte soit écrit au Ve siècle après Jésus Christ (noté p.-C.), mais, pour des raisons liées généralement aux destructions de guerre ou simplement par un incendie, seules des copies de ce texte nous sont parvenues. Toujours pour simplifier les choses et dans un esprit pédagogique, imaginez que deux copies de ce texte nous soient parvenues : l’une datant du XIIe siècle p.-C., l’autre du XIVe siècle p.-C. Nous savons parce que, en général, ces textes citent leur propre source, que le texte du XIIe siècle est passé par un texte intermédiaire, copie de celui du Ve siècle, tandis que le texte du XIVe siècle recopie directement le texte du Ve siècle, avant que celui-ci ne soit totalement perdu. Quelle est la source la plus fiable pour étudier le texte du Ve siècle ?
Vous imaginez bien que si je vous pose la question, c’est que la réponse est contre-intuitive. Alors, avez-vous trouvé ? Effectivement, la bonne réponse est le texte du XIVe siècle. Bien entendu, si vous avez pensé que c’était le texte du XIIe siècle, c’est simplement parce que vous êtes parti du principe qu’il était plus vieux, donc plus fiable. Malheureusement, c’est une erreur de raisonnement. La fiabilité d’une source ne dépend pas de son âge, elle dépend du nombre de mains qui l’ont manipulées.
Pour le comprendre, souvenons-nous du jeu enfantin, le « téléphone arabe ». Si vous y avez déjà joué avec énormément de participants, vous avez pu constater par vous-même que le message de l’émetteur, l’équivalent d’une source historique, était déformé ou complètement différent dans la bouche du dernier récepteur, et ce pour deux raisons élémentaires. Le principe de la transmission est oral, donc pour de simples raisons biologiques, une oreille qui entend mal, un manque de concentration, que sais-je encore ?, vous avez mal entendu le message et vous transmettez sans en avoir conscience un message légèrement erroné, voire complètement faux si vous vous appelez Tournesol (ce cas de figure étant extrême oublions-le). La seconde raison est moins glorieuse, mais tout aussi intéressante d’un point de vue historique. Dans la chaîne de transmission, un ou plusieurs joueurs décident de changer volontairement la phrase qu’ils reçoivent (je rappelle que, selon le principe du jeu, personne ne sait si le message qu’il reçoit est celui de l’émetteur). Le résultat est le même : la source en ressortira déformée. Toutefois, l’intention n’est pas du tout la même, et cela permet de souligner un autre aspect du métier de l’historien, tenter de déterminer si l’auteur, ou le copieur dans notre exemple, nous ment, si oui pourquoi ? Comment déterminer s’il ment ? Par exemple, on sait aujourd’hui que la mention de Jésus Christ dans le texte de Flavius Josèphe est un ajout tardif du Moyen Âge, via le manuscrit recopié qui nous a permis d’avoir accès au texte l’auteur antique du Ier siècle p.-C. De fait, ces questions me semblent de plus en plus coller à notre réalité numérique, sauf que les temps de transformation ont été considérablement raccourcis.
Avec l’exemple du téléphone arabe, j’espère vous avoir fait comprendre que la source la plus fiable était logiquement celle du XIVe siècle, mais cela ne signifie pas que l’on doit oublier la copie du XIIe siècle. C’est par leur comparaison, leur analyse extrêmement détaillée que l’historien arrivera à déterminer les failles, les incohérences, etc. C’est ce que l’on appelle le croisement des sources.
Si toutes ces méthodes vous intéressent, je vous invite à lire la méthodologie historique de l’école des Annales. Je pense que, à l’heure actuelle où nous sommes assaillis d’informations en tout genre, il faut apprendre à les peser par de telles méthodes qui sont naturelles chez tout étudiant qui possède au minimum une Licence d’histoire, ce qui dommage en soi - c’est de cette manière que l’on devrait apprendre l’histoire, au moins à partir du lycée. Hormis devenir professeur, de telles compétences sont fort utiles pour devenir un journaliste d’investigation par exemple.
S’il y avait davantage d’historiens de formation dans les métiers de la presse, ils se poseraient certainement une question importante : est-il normal que l’unique source de l’A.F.P. soit les journalistes états-uniens ? À l’heure de l’émergence de la Chine, de l’Inde, du réveil de la Russie et d’autres puissances, pourquoi ne lit-on pas leurs grands journaux pour les croiser avec la presse américaine ? Nous aurions une autre lecture de ce qui se passe dans le monde. Nous serions certainement beaucoup moins naïfs sur Trump, Poutine, Jinping, etc.
La grande question est pourquoi les journalistes ne le font pas ? Simplement par idéologie, ils jugent que ces sources sont moins fiables que les sources américaines, un peu comme s’ils n’avaient pas compris que la Guerre froide était finie depuis trente ans. Par cet exemple de notre quotidien, on retombe sur le problème de base de l’historien. C’est un problème sans fin.
De fait, comment bien s’informer ? Croisez toutes les sources ! J’ai bien dit toutes. Ne jamais juger qu’une source est de par nature moins fiable qu’une autre, car c’est en les croisant que l’on peut comprendre qui ment et pourquoi. C’est uniquement par cette méthode que vous trouverez un chemin vers une certaine vérité. C’est comme ça que les Annales ont réécrit toute l’histoire de France. L’école a expurgé notre histoire de tous les a priori négatifs du Moyen Âge par exemple. Elle a réécrit des pends entiers des manuels du XIXe siècle, notamment sur les Gaulois. Cela étant, l’œuvre laissée par les Annales est loin d’être sans défaut, car tout historien recherche ce qu’il connaît (les repères de son époque) dans le passé. Ainsi, jusqu’il y a peu, nous ne connaissions l’histoire de la Révolution française que par l’analyse d’historiens franchement marxistes, qui, volontairement ou involontairement, ont déformé certaines sources pour y voir le début du communisme, ou d’autres éléments qui semblent aujourd’hui aberrants. Par cet exemple, on voit bien que le croisement des sources est un exercice infini et qu’il peut s’appliquer à n’importe quoi. Le meilleur exemple est l’histoire ancienne. On l’a souvent pensé immuable du fait du peu de documents, monuments, etc. qui nous sont parvenus. Pourtant, grâce aux fouilles archéologiques, on déterre tous les jours de nouvelles sources anciennes : des inscriptions, des monnaies, des œuvres d’art, etc., soit autant de nouveaux croisements de source possibles.
Pour finir, je citerai un cas que je connais bien, le mien. J’ai appliqué la méthode que j’avais apprise en histoire pour la croiser avec le droit et la géographie (les trois disciplines dont je suis diplômé). Puis, j’ai croisé la géographie et l’informatique, la géographie et les mathématiques, la géographie et les sciences de la complexité, etc. Tous ces croisements m’ont amené à voir le monde d’une manière très originale qui fait que je ne coche aucune case dans les disciplines que j’ai étudiées officiellement ou officieusement. Par exemple, dernièrement en apprenant à coder en Java, j’y voyais de l’histoire et de la géographie, autant de repères qui m’ont permis développer un logiciel très rapidement. Décidément, le croisement des sources sert à tout et à tous !
Maxime Forriez.
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