Dernière mise à jour : le 8 juillet 2013

    L’analyse de la répartition des châteaux en Picardie historique est l’aboutissement d’une longue étude commencée en 2004 (Forriez, 2005). Au début de celle-ci, il s’agissait d’essayer d’expliquer de manière géographique un objet archéologique et historique : la motte de Boves. Diverses méthodes ont été proposées : une analyse multi-scalaire au sens d’Yves Lacoste permettant d’étudier les interactions entre Boves et les autres sites castraux, une analyse log-périodique du site de Boves et un début d’analyse radiale autour de ce que l’on avait appelé « pôles organisateurs » dans les limites du comté d’Amiens primitif (Forriez et Martin, 2008 ; Martin et Forriez, 2008). Toutefois, si ces analyses étaient prometteuses, elles étaient loin d’être satisfaisantes.

    L’analyse multi-scalaire au sens d’Yves Lacoste était fortement incomplète dans la mesure où la compréhension des événements historiques ne peut s’entendre sans une mise en perspective avec la construction du royaume de France, et plus largement de la construction des États européens tels que l’on peut les connaître aujourd’hui. Ainsi, si l’on peut qualifier cette analyse de « spatio-temporelle », on peut également prétendre qu’elle est multi-échelle au sens large du terme. Quelques analyses complémentaires vont être proposées dans les chapitres suivants.

    L’analyse radiale pratiquée alors était également insuffisante. Seules dix localisations (Boves, Moreuil, Amiens, Corbie, Poix, Folleville, Albert, Picquigny, Montdidier, Conty) de l’espace avaient été analysées. De plus, la base de données ne comportait que les châteaux connus du comté d’Amiens primitif, ce qui était une limite à l’analyse scalo-spatio-temporelle de la répartition des châteaux puisque, dès le XVe siècle, l’Amiénois fut réintégré dans un ensemble territorial plus vaste : la Picardie historique. Il fallait donc augmenter l’étendue de la répartition des châteaux à l’ensemble du nord de la France (Aisne (02), Nord (59), Oise (60), Pas-de-Calais (62), Seine-Maritime (76), Somme (80)), et tracer les autres comtés pour réaliser de véritables études de la structure de ces territoires.

    L’objectif de ce travail est de proposer une méthode générale d’étude des distributions scalo-spatio-temporelles de longue durée en géographie. Ce chapitre introductif rappellera la définition relativement complexe d’un château, puisqu’elle ne se limite pas à l’image populaire de ce dernier. Chemin faisant, une présentation des données relatives à la Picardie historique clôturera ce chapitre.

10.1. Les mottes et les châteaux : éléments de définition

    Traditionnellement, les historiens écrivent que les luttes du Xe siècle ont engendré, à la fin de celui-ci, une forte croissance, peut-être exponentielle, d’un nouveau type de fortifications et de résidences : le château. Il s’agit d’une fortification et d’un logement individuel construit pour un seigneur (le chef) et sa mesnie (ses guerriers). Cet ensemble est généralement complété par une basse-cour peuplée par des habitants-paysans. Une hypothèse plus récente prétend que les châteaux n’ont jamais eu pour vocation première d’être des forts. En effet, comme le soulignent Jean-Pierre Arrignon et Jean Heuclin, « à partir du milieu du Xe siècle, [les invasions normandes, sarrasines ou hongroises] avaient pratiquement cessé néanmoins le paysage continua de se hérisser de castra, munitiones, turres, donjio, un siècle avant le « blanc manteau d’églises ». Leur rôle défensif est donc à écarter. Leur développement fut le signe d’une évolution et d’un éparpillement des pouvoirs de commandement (droit de ban). C’était une affirmation claire de la potestas, légitime ou non sur l’environnement. Le château était d’abord le signe de la loi ou de la coutume. C’est pourquoi les rois, les comtes et les immunistes furent les premiers  à en élever. Ce pouvait être une motte de terre de quelques mètres, construite en un ou deux mois à coup de corvées publiques, et surmontée d’une tour en bois […]. Dans l’espace méridional (Provence-Septimanie-Catalogne-Auvergne), mais également aux nombreux et civitates, les vestiges antiques étaient nombreux et facilement ré-aménageables [surtout dans l’espace méridional comme le « château des arènes » à Nîmes ou le théâtre d’Orange, etc.]. C’étaient des sites dont on conservait le souvenir d’utilité publique et de caractère sacré. L’usage de la pierre traduisait aussi une ancienneté qui confortait la légitimité d’un pouvoir, parfois nouveau. Le castrum était alors accolé au bourg, l’oppidum élargi, et l’escarpement aménagé […]. La « maison-forte » visible était un palais où résidait le comte. Néanmoins, en Flandre ou en Normandie, aucun château n’échappait à l’autorité du comte ou du duc. Le châtelain était un officier subalterne, nommé et révocable, pour gérer un pagus ou un espace monastique » (Arrignon et Heuclin, 2008, p. 100).

    Quoi qu’il en soit, le « château à motte » paraît avoir été l’instrument de la révolution castrale, car ils connurent une période de grande expansion du XIe au XIIIe siècle. Après, ce type de construction fut abandonné (Debord, 2000). Si les châteaux marquèrent à jamais les mémoires, ce ne fut pas le cas des mottes castrales. Ainsi, il faut rappeler les distinctions et les ressemblances entre une motte et un château.

10.1.1. La motte castrale

    Au XIXe siècle, quelques archéologues ont différencié les tumuli pré-historiques des mottes castrales médiévales. Généralement, on différencie une motte d’un tumulus par la présence d’un fossé, c’est-à-dire par un caractère défensif. Les premières études sont celles d’Arcisse de Caumont et de Camille Enlart (in Debord, 2000, note 30, p. 60). Ils ont analysé quelques chroniqueurs et la broderie de Bayeux. Ils en ont conclu que les mottes sont « un des plus anciens types de châteaux féodaux. Toutefois, à cette époque, les mottes étaient étudiées très rapidement, au profit des châteaux en pierre, toujours visibles, qui sont la marque d’une histoire continue et connue. Après ces premières analyses, les historiens, entre la fin du XIXe siècle et les années 1970, ignorèrent les mottes et les châteaux de pierre, le support matériel ne pouvant faire l’objet d’une objectivation scientifique. Depuis les années 1970, les « mottes » et les « fortifications » semblent de nouveau intéresser les historiens, et surtout les archéologues. En effet, « L’archéologie de terrain permet de mieux connaître les lieux du pouvoir : motte, bourgs castraux et châteaux » écrit Philippe Poirrier (2000, p. 56). Le château est ainsi devenu une source historique, nécessaire à l’étude de la châtellenie, du peuplement, mais aussi à celle des bourgs castraux et des réseaux de communication, du cadre de vie de la société courtoise et du marchandage, dans la mesure où les châteaux furent pendant un temps, un avoir précieux. Sur cette base, la motte devient un objet d’étude à part entière. Avec Gabriel Fournier (1978) et Michel de Bouärd (1975), elle est devenue un objet scientifique (Figure 90).

Rappel épistémologique sur l'objet d'étude « motte »
Figure 90. Rappel épistémologique sur l'objet d'étude « motte »

10.1.1.1. La motte, objet historique

    Les historiens débattent sur la définition du terme. Le mot « motte » vient du latin motta qui signifie l’aspect concret du site fortifié. « L’acte de naissance du château à motte se situe donc dans le courant du Xe siècle, avec un coefficient de certitude satisfaisant » (Rocolle, 1994, p. 40). Le terme semble apparaître pendant la seconde moitié du XIe siècle, mais la construction de châteaux sur une hauteur est mentionnée par des périphrases avant 1040. Michel Bur (1999) pense que Flodoard (893/894-966), un clerc archiviste de Reims, désignait la motte par le terme munitio. Pour Michel Bur, les premiers châteaux sont en bois parce qu’ils coûtent moins cher. à cette idée, il faudrait ajouter que, vraisemblablement, ils le sont car on ignorait combien de temps ils allaient servir. Le terme est rarement cité par les contemporains : en 1040, sur l’acte de fondation de la Trinité de Vendôme ; en 1041, sur l’acte du cartulaire de l’abbaye de Saint-Maixent où il est écrit « castrum qui dicitur mota » (La Mothe-Saint-Héraye) ; au XIIe siècle, chez les chroniqueurs Ordéric Vital et Suger. Au terme « motte », on préfère castrum, castellum, munitio pour désigner des fortifications diverses. Michel Bur (1999) définit le castrum par un espace relativement vaste, le terme signifie « trancher, couper du reste ». Le castellum qui donnera le mot « chastel », toujours défini par cet auteur, est une résidence privée d’un lignage, c’est un espace de moindre dimension, plus facile à défendre.

    Pour André Debord, « il s’agit […] de tertres, qui peuvent être constitués de terre rapportée et, donc, être entièrement artificiels. Mais, en fait, assez souvent, le tertre comporte une partie naturelle, un moyen rocheux retaillé et complété par des apports extérieurs. Il est presque toujours entouré d’un profond fossé et l’ensemble consiste - indépendamment des constructions de bois ou de pierre qu’il porte à son sommet - en un élément défensif puissant, avec une douzaine de mètres de dénivellation entre le fond du fossé et le sommet du tertre » (Debord, 2000, p. 63). Pour Michel Bur, « ce tertre artificiel, fait partiellement ou totalement de main d’homme, soit par accumulation de terre, soit par remaniement d’un relief, est toujours entouré d’un fossé. […] La terre arrachée au fossé sert à construire le tertre, qui peut aussi, exceptionnellement, être érigé en deux étapes à partir d’une petite enceinte circulaire comblée » (Bur, 1999, p. 31). Le diamètre à la base est compris entre 30 et 100 mètres, le diamètre au sommet, entre 10 et 60 mètres et la hauteur tourne autour de 20 mètres.

    Pour Dominique Barthélemy, c’est un « amas de terre de forme tronconique servant de fortification ; souvent flanquée d’une baile (ou basse-cour) » (Barthélemy, 1990, p. 287). Pour André Châtelain, il s’agit d’un « monticule naturel ou plus souvent artificiel, destiné à porter une fortification » (Châtelain, 1996, p. 108). Pour Jean-Marie Pesez, le château à motte est « une butte artificielle, circulaire et tronconique » (DROM, 1999, p. 179-198). On peut ainsi accumuler les auteurs qui ont cherché à définir le terme. Ce qui était important à remarquer, c’est que la définition du terme se trouve généralement dans celle de « château ». Rares sont les auteurs qui ont défini le terme « motte » pour lui-même. Dans les auteurs cités, il n’y a que Dominique Barthélemy (1990) qui différencie dans son lexique « château » et « motte ». L’expression dans laquelle se trouve le terme est de deux formes, soit l’auteur emploie « château à motte », soit il emploie « château sur motte ». La première expression lie implicitement la construction défensive à son support : la motte de terre, ce qui signifie que la construction de la motte et celle du château sont étroitement liées. Le château et sa motte sont étudiés ensemble, formant un tout : pas de château sans motte, pas de motte sans château, tandis que « château sur motte » matérialise plus un intérêt pour le château construit, achevé, et non pour son support de construction qu’est la motte.

10.1.1.2. L'archéologie et les mottes

    Les historiens laissent aux archéologues l’effort de recensement des mottes afin d’en dresser l’inventaire et d’en programmer l’éventuelle fouille. La problématique d’étude est simple : pourquoi le nombre de sites aristocratiques et fortifiés augmente-t-il fortement à la fin du Xe siècle ? Quelles sont les fonctions de ces mottes si nombreuses ?

    La motte est une résidence fortifiée de l’aristocratie châtelaine. C’est le point de départ de nombreuses châtellenies. La fonction de résidence est liée à une fonction politique. Sont-ce des résidences privées ou publiques ? On possède la mention et l’existence de mottes d’attaque ou de siège. Il existe des petites mottes avec des tours de guet. Les mottes sont donc des objets multifonctionnels. « Une des grandes acquisitions de l’archéologie médiévale de ces trente dernières années a été d’attirer l’attention sur les mottes : il s’est ainsi développé une recherche qui a permis de renouveler complètement la problématique historique. L’importance des châteaux de terre - et, en particulier, de la motte, qui restera comme le symbole de l’essor de la fortification individuelle et de la révolution castrale - ne doit cependant pas faire oublier que celle-ci s’est accomplie de bien d’autres façons et en s’appuyant sur d’autres formes castrales » (Debord, 2000, p. 77). L’auteur rappelle qu’il y a, au moins, deux structures connues : la motte dans la France du nord et les roqua dans la France du sud ou en montagne.

    Les archéologues préfèrent l’expression « château à motte ». Certains abandonnent même le terme « château » pour celui de « motte » tout court. L’objet « motte » prend son indépendance par rapport au château. Cela se justifie par le fait que, dans la logique chronologique, on a d’abord construit la motte de terre avant de construire le château, mais qu’est-ce qui prouve qu’elle a été élaborée peu avant la construction du château ? Généralement, rien. D’où l’intérêt d’étudier cette structure pour elle-même. à partir de là, les archéologues interviennent, mais malheureusement peu de mottes ont été fouillées en France.

10.1.1.3. La motte, une forme spatiale

    La motte est une forme saillante et prégnante qui se déploie dans l’espace géographique. Elle peut donc faire l’objet d’une étude géographique. Cette forme s’est cristallisée aux alentours du Xe-XIe siècles en Occident, comme un symbole de pouvoir, à un moment où il n’existait plus de pouvoir central suffisamment puissant pour assurer la sécurité et, plus généralement, l’organisation de l’espace occidental médiéval. C’est un processus qui s’inscrit dans une différenciation spatiale par fragmentation des territoires et cela se traduit dans le processus de la construction de points singuliers. La motte est avant tout une production anthropique, c’est ce qui la différencie des buttes témoins en géomorphologie, par exemple. Généralement, la motte est tronconique, et sert de support à un bâtiment à caractère défensif. Comme la motte structure l’espace à des niveaux différents, il peut s’agir d’un objet géographique. D’abord, elle donne sa cohérence à un complexe politique et religieux. Ensuite, elle s’articule au sein d’un réseau local de mottes et de châteaux qui se manifeste par différentes alliances matrimoniales, différentes guerres privées, etc. Enfin, même si la plupart de ces mottes ont été détruites par les agriculteurs ou par l’érosion, elles n’en demeurent pas moins fondamentales pour comprendre certains territoires, et en particulier, les formes dans les terroirs circulaires (Soyer, 1970).

10.1.2. Les châteaux

    Ainsi, si le terme « château » est employé par commodité dans la plupart des récits historiographiques (Cuvillier, 1998), cela vient des difficultés à maîtriser le champ lexical des termes ou expressions employés dans les sources. Par exemple, « castrum », « castellum », « munitio », « bastimentum », « turris » renvoient plus au mot français « forteresse » qu’au terme « château ». De plus, dans les sources, on distingue clairement l’aspect militaire de l’aspect politico-administratif. Ainsi, ce dernier est souvent désigné par « firmitas » (fermeté, ferté) dans le nord et « fortalitas » ou « fortitia » dans le Midi. Pour compliquer davantage le problème, on rencontre souvent dans les sources le terme « oppidum » qui désignait originellement une ville fortifiée à l’époque antique, mais qui, à l’époque du Moyen et du Bas Moyen âge, renvoyait à ce que l’on appelle aujourd’hui « château ».

    Pour résumer, le château était un lieu de pouvoir politique et administratif qui avait souvent l’apparence d’une forteresse et qui contrôlait un territoire bien défini : la châtellenie. Différentes phases architecturales peuvent être proposées. Aux IXe et Xe siècles, les forteresses étaient très proches, dans leur forme,  des camps fortifiés romains : un fossé, une palissade, et éventuellement une motte dont l’origine est plutôt normande. Aux Xe et XIe siècles, les premières tours de guet apparurent à l’intérieur des enceintes. Elles avaient pour fonction la surveillance des territoires ruraux. Autrement dit, leur implantation ne se fit pas n’importe où puisque leur objectif était de contrôler un territoire donné. Le choix du site était donc fondamental. D’ailleurs, beaucoup de « mottes improvisées » furent abandonnées dès le Xe siècle. Aux XIe et XIIe siècles, les premiers châteaux en pierre apparurent. Leur organisation était simple : une enceinte, et une haute tour rectangulaire que les historiens du XIXe siècle appelleront « donjon ». Parallèlement, les basses-cours apparurent, et une nouvelle organisation politico-administrative vit le jour. Aux XIIIe et XIVe siècles, l’organisation des châteaux devint de plus en plus complexe. Les tours s’arrondirent, les mâchicoulis, les ponts-levis, les archères et les arbalétrières apparurent. Toutefois, ce ne fut pas suffisant pour contrer les canons qui firent leur apparition en Europe. Ainsi, du XVe au XIXe siècles, le château perdit progressivement ses fonctions militaires pour devenir une résidence qui était le symbole du pouvoir local.

    La Picardie historique et l’Artois offrent un exemple remarquable, puisque les châteaux y furent très nombreux, et les territoires fortement affectés par divers redécoupages au cours des siècles.

10.2. Les données

    L’étude de la distribution spatio-temporelle des mottes et châteaux de la Picardie historique qui englobe le Pas-de-Calais, la Somme, l’est de l’Aisne et le nord de l’Oise (Forriez, 2005), étendue à l’Artois (Forriez, 2007) a été réalisée à partir de différentes sources de données. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas facile de localiser et de dater les mottes et les châteaux. Ainsi, une présentation des sources et de la nature des données est fondamentale.

10.2.1. Les sources

    Cette base de données a commencé à être construite en 2004 (Forriez, 2005). à l’époque, la carte réalisée a été faite sur une « projection non terrestre » ce qui est un choix qui peut quelque peu dérouter les cartographes. De plus, je ne disposais pas de bases de données telles que Corine Land Cover, et la carte réalisée est issue d’une numérisation. Les cartes utilisées comme fond sont 60 km autour d’Amiens (2004) et 60 km autour de Lille (1996) dont le système de projection est ED50. J’y ai relevé systématiquement toutes les communes centres et tous les hameaux dépendants de ces communes, soit près de 3000 localisations. à partir de là, j’ai reporté toutes les informations que l’on connaissait sur le patrimoine castral de chacune d’elle.

    Pour constituer la base de données des mottes et châteaux, aucune recherche en archives n’a été menée. Un premier dépouillement a été fait à partir de la base de données du Quid 36 000 communes de France qui recense le patrimoine national et fournit quelques indications chronologiques. Cette étape préliminaire a permis de répondre à la question : « où sont-les châteaux ? ». En effet, la répartition des châteaux existant ou ayant existé est mal connue pour deux raisons. D’abord, les travaux réalisés par les historiens sont généralement des monographies ; il est donc difficile d’en faire un panorama complet, mais surtout, les châteaux n’ont été étudiés que, dans une optique historique. Les travaux en histoire de l’art et en archéologie n’ont pris de l’ampleur qu’à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Des dictionnaires apparaissent alors (MCFAPH, 1973 ; Christ, 1978 ; Salch, 1979 ; Babelon, 1989). Une lecture systématique de ces dictionnaires par ordre alphabétique a été réalisée. Pour chaque commune, il fut vérifié les informations de la base du Quid. La quasi-totalité des châteaux cités par celle-ci a été retrouvée, et les informations historiques ont pu être corrigées. De plus, des châteaux oubliés ont pu être localisés.

    La base de données constituée regroupe 1413 mottes ou châteaux (état 2008) répartis dans les centres d’habitations des communes et dans les différents hameaux sous la dépendance de cette commune centre.

10.2.2. La nature des données

    La nature des données est double. Il s’agit d’une localisation spatiale et d’une localisation temporelle.

10.2.2.1. La localisation spatiale

    Bizarrement, localiser les mottes et les châteaux est un exercice extrêmement périlleux, car mise à part les hauts lieux touristiques, la question : « où sont ou étaient les mottes et les châteaux de la Picardie historique ? » n’a pas de réponse claire. C’est une des raisons pour lesquelles la base de données initiales n’a pas été refaite. On ne peut pas localiser très précisément ces entités spatiales. L’idéal eût été de réaliser une localisation G.P.S. de chaque entité. Toutefois, lorsque le château n’existe plus et n’a pas laissé de ruines visibles, comment le localiser précisément ? Aussi, les foyers d’habitats relevés lors de la numérisation des cartes semblent être un bon compromis pour fournir une localisation des châteaux avec une précision proche du kilomètre. Cette information est essentielle pour l’analyse fractale, car elle ne pourra pas avoir une résolution inférieure à deux kilomètres, sans prendre en considération l’erreur possible due à l’absence d’information. Ceci précisé, il existe tout de même des facteurs de localisation. La plupart du temps, les mottes ou les châteaux s’installent le long des anciennes voies romaines et des cours d’eau ainsi que sur les micro-reliefs (Soyer, 1970).

10.2.2.2. La localisation temporelle

    Il est très difficile d’obtenir des dates fiables à 100 %. La plupart du temps, d’ailleurs, les dictionnaires de châteaux ne fournissent qu’un intervalle de temps très vague, généralement de l’ordre du siècle. Heureusement, la statistique a développé des techniques pour ce que l’on appelle les données censurées (Morgenthaler, 2007, p. 362-365). Elles correspondent au cas où l’on ne dispose pas d’informations précises, mais un intervalle de temps plus ou moins large. Son information est donc incomplète. Néanmoins, pour réaliser des calculs, on prend généralement la valeur centrale de cet intervalle et on note généralement une telle donnée avec un astérisque.

    Cependant, il faut distinguer les données censurées des données manquantes. En effet, une donnée manquante correspond à un vide : on ne sait rien, si ce n’est qu’il y devrait y avoir quelque chose à ce moment-là. Une donnée censurée, par contre, est connue de manière floue, mais au moins, on sait qu’elle est comprise dans un intervalle plus ou moins large.

    En effet, lorsqu’un dictionnaire informe que le château fut construit au XVIIIe siècle, cela signifie qu’il a été construit entre 1701 et 1800, ou encore : Δt = 1751 ± 50 ans (la dernière valeur de l’intervalle étant exclue). Ceci est l’occasion de rappeler que notre calendrier chrétien débute à l’an 1, et non à l’an 0 comme certains ont voulu nous faire croire lors du soi-disant « passage à l’an 2000 », qui fut la dernière année du XXe siècle. On peut affiner l’intervalle lorsque l’on connaît le nom du commanditaire du château et que l’on possède ses dates. Toutefois, dans de nombreux cas, l’information est beaucoup moins précise, par exemple, au « Moyen âge », « à l’époque moderne », ou « à l’époque contemporaine ». Pour le Moyen âge, les premiers châteaux apparaissent autour de l’an mil, son intervalle est donc Δt = 1251 ± 250 ans ; pour l’époque moderne : Δt = 1651 ± 150 ans ; pour l’époque contemporaine, on sait que les derniers châteaux ont été construits autour de 1925, après il ne s’agit que de restaurations ou de reconstructions, ce qui donne l’intervalle : Δt = 1863 ± 62 ans. Heureusement, on arrive à réduire ces intervalles extrêmes lorsque l’on connaît la date de destruction du château. Par exemple, s’il a été détruit en 1427, sans aucune autre date, cela permet de conclure qu’un château a pu exister entre 1001 et 1427 ce qui donne l’intervalle Δt = 1201 ± 200 ans. Enfin, on sait que les mottes ont été bâties majoritairement entre l’an mil et 1300, cela fournit l’intervalle Δt = 1151 ± 150 ans.

10.2.3. La constitution de la base de données « Catiau »

    Pour mener à bien l’étude spatio-temporelle, une fiche (cf. ci-dessous) a été réalisée pour recueillir les données relatives à l’espace géographique et à la chronologie historique de chaque motte et/ou château. Cette fiche sert de support dans la construction d’un système d’information géographique sur MapInfo 6. Chaque fiche a été systématiquement remplie manuellement avant d’être informatisée. Ce protocole peut sembler fastidieux, mais comme les dictionnaires fournissent généralement des informations complémentaires, le passage par écrit reste indispensable pour conserver une trace de la réflexion initiale. Cela permet de trouver les erreurs de saisie. La base de données est donc facilement corrigeable. Pour l’heure, on effectuera l’analyse sur la base à l’état 2008.

Chapitre-10_30.gif







    La base de données « Catiau », malgré toutes ses imperfections, permettra la construction d’une méthode scalo-spatio-temporelle pour l’analyse d’un espace géohistorique. Avant d’effectuer une telle analyse, il faut rappeler les grandes étapes de la déconstruction de l’Empire romain et de la construction de l’État français. Étapes dans lesquelles la Picardie et l’Artois jouent un rôle géostratégique de premier ordre.











Chapitre 11. Géohistoire du nord de la France de la fin du Haut Moyen âge à nos jours

Chapitre 12. La réflexion sur l'analyse spatio-temporelle à partir du cas bovois

Chapitre 13. L'analyse fractale généralisée

Chapitre 14. L'étude multi-échelle d'un espace-temps



Partie 1. Échelles, limites et modèles : la forme en géographie

Partie 2. Morphométrie en géographie

Partie 4. Étude multi-échelle de la répartition de l’établissement humain sur Terre