La répartition des châteaux connus dans le nord de la France présente une structure clairement fractale. Son étude peut se réaliser via un calcul de dimension fractale de boîtes carrées classique, et ainsi dégager une organisation globale en échelle de ce territoire. Le problème est que cette méthode « a-spatialise » l'information géographique de base. Cependant, on sait que la dimension fractale dépend du nombre de points, aussi, si l'on peut pré-découper l'espace concerné par un maillage carré, puis dans chacun de ces carrés calculer une dimension fractale de boîtes carrées locale, on pourra observer des variations spatiales de cette dimension fractale liée à des éléments structurants de l'espace géographique. La méthode consiste donc à désagréger l'information géographique jusqu'à une certaine grande échelle, puis à en agréger de nouveau les rapports scalaires locaux en un champ unitaire.
13.1. Nuage de points et dimension fractale
Lorsque l'on effectue une mesure sur un nuage de points (ici les mottes et les châteaux), la dimension fractale peut varier de 0 à 2. Afin de les comparer, on effectue le calcul sur le nuage de points des communes et des hameaux (Figure 110.a.) et sur celui des châteaux (Figure 110.b.). Ces deux graphiques montrent une courbure qui apparaît dans les graphiques bi logarithmiques. Cette courbure est la manifestation d'une transition fractal - non fractal sur les grandes échelles géographiques. Toutefois, il ne faut pas oublier qu'il existe également une transition au niveau des petites échelles géographiques (filtrée ici par la méthode de calcul).
Pour les communes, la transition aux grandes échelles a lieu entre ln(ε) = 0 (soit ε = 1 km) et ln(ε) = 1,0 (soit ε = 2,7 km). La même pour les châteaux est observée entre ln(ε) = 0 (soit ε = 1 km) et ln(ε) = 1,3 (soit ε = 3,7 km). Cela signifie que le nombre de carrés de taille 1 (204 km) et celui de taille 0,5 (102 km) s'emboîte parfaitement. à partir de celui de taille 0,25 (51 km), leur nombre n'est plus celui de la grille. Autrement dit, une différenciation commence à s'opérer. La fractalité devient apparente.
Pour les communes et pour les châteaux, la transition aux petites échelles s'établit à ln(ε) = 5,5 (soit ε = 244,7 km). Il s'agit d'une échelle de coupure virtuelle puisqu'elle est liée à l'étendue de l'objet analysé. à l'opposé, la transition fractal - non fractal observée aux grandes échelles est essentielle puisqu'en deçà de cette échelle (2,7 km pour les communes et 3,7 km pour les châteaux), il n'y a plus d'informations et le nuage de points devient non fractal. En effet, en allant vers les très grandes échelles, il n'y a plus de structuration fractale puisque le carré sera soit vide (N(ε) = 0) ou soit avec une valeur et une seule (N(ε) = 1). Autrement dit, l'échelle de coupure aux grandes échelles est liée à la nature même de l'information géographique.
Une nouvelle fois, on peut rappeler que ce modèle de transition fractal - non fractal s'obtient comme solution d'une équation différentielle du premier ordre = a + bN (Nottale, 1993), et s'exprime par la loi d'échelle suivante (valable uniquement pour les nuages de points) :
N(ε) = N0
où N(ε) est le nombre de carré de côte ε ; N0 est le carré de taille maximale ; ε0 représente la taille de la plus petite boîte et ε est le côté de la boîte de mesure qui varie ici de 20 à 28 (c'est-à-dire entre 1 et 256 km) et D est la dimension fractale c'est-à-dire la pente entre les deux échelles de coupure identifiées précédemment. Elle correspond à ce que Philippe Martin avait appelé la dimension fractale asymptotique (Martin, 2006b ; Martin, 2006c ; Martin, 2006d ; Martin 2008c ; Martin, 2009). Ici, la dimension fractale des communes vaut 1,701 ± 0,004 et celle des châteaux 1,644 ± 0,004. De ce résultat, on peut conclure que la structuration de l'espace géographique des villes et villages du nord de la France est étroitement liée à la répartition des châteaux. Toutefois, elle ne dit rien sur la répartition locale des dimensions fractales. Il faut donc construire une méthode permettant de répondre à ce problème.
a. Calcul d'une dimension fractale par comptage de boîtes carrées sur le nuage de points des communes |
b. Calcul d'une dimension fractale par comptage de boîtes carrées sur le nuage de points des châteaux |
13.2. Le champ des rapports scalaires
On appellera champ des rapports scalaires (Al Khalifeh, 2008) la représentation tridimensionnelle des coordonnées géographiques (représentée par une maille de résolution) et de la dimension fractale associée à chacun de ces carrés (Figure 113).
L'analyse consiste à tronquer le calcul de la dimension de boîtes et à observer le comportement de la dimension fractale dans une boîte particulière. Pour ce faire, huit grilles dyadiques (Figure 111) ont été créées. Chacune d'elles représente les carrés où il y a des points. Ici, l'analyse a été réalisée sur les châteaux. à chacune d'elles, on associe le nombre de châteaux contenu dans la maille (Figure 112) et la dimension fractale locale.
On retrouve évidemment les résultats avec la dimension fractale de boîtes globale. Les deux premières images (Figure 111, Figure 112, Figure 113 et Figure 114) correspondent à la zone du graphique de la Figure 110.b. entre ln(1) et ln(échelle de coupure maximale), c'est-à-dire où la dimension fractale atteint son maximum de 1,7. Les images n°3-4-5-6 correspondent à la zone du graphique de la Figure 110.b. entre ln(échelle de coupure maximale) et ln(échelle de coupure minimale). Les images n°7-8 correspondent à la zone du graphique de la Figure 110.b. au-delà de ln(échelle de coupure minimale), c'est-à-dire la zone où localement la dimension fractale est égale à 0. D'ailleurs, la grille n°8 (Figure 111) ressemble beaucoup à la répartition originelle des châteaux.
Toutefois, ce type de graphique permet de mieux comprendre la répartition spatiale des données, car on retrouve les vides et les pleins dont la cause est le manque d'information, et permet d'en établir le « poids » réel dans la dimension fractale des lieux du nuage de points. En fait, la répartition de la dimension fractale des châteaux est très homogène sur l'ensemble des différentes grilles, en termes d'effectifs (Figure 112) et en termes de dimension fractale (Figure 114).
13.3. Châteaux et centres urbains
La Figure 114-6 est particulièrement intéressante, car la plupart des pics de dimensions fractales « locales » correspondent à la localisation des principaux centres urbains actuels (Figure 115). On peut prétendre alors qu'il s'agit d'une méthode générale permettant l'identification des centres dans un espace géographique : il suffit de choisir une résolution suffisamment proche de l'échelle de coupure identifiée grâce à la Figure 110-b pour les faire apparaître clairement. Seuls sept centres urbains n'apparaissent pas. Dans le cas de Beauvais, Compiègne, Rouen et Saint-Quentin, il semble que cela soit dû à leur position en bordure de la fenêtre d'analyse. Pour Calais et Dunkerque, un autre effet de bord joue : celui du trait de côte. Afin, pour Cambrai, cela s'explique sans doute par le fait que la maille est trop fine pour faire apparaître le pic de dimension. Ces cas particuliers expliqués, on peut conclure que la localisation des centres urbains dépend de celle de châteaux. Autrement dit, la position des villes dépend du réseau inter-urbain sous-jacent (Martin, 2004).
13.4. Statistique des dimensions fractales locales
Il est possible alors d'estimer de manière statistique des dimensions fractales locales en fonction de la résolution (Figure 116 et Figure 117). On constate que l'on soit dans le cas des châteaux (Figure 116), ou dans celui des communes et des hameaux (Figure 117), une diminution de la valeur de la dimension fractale en fonction de la résolution, mais aussi une augmentation de l'écart-type. Ainsi, si l'on compare ces résultats avec ceux obtenus avec l'analyse fractale d'Avignon, on constate que la Figure 118 et de la Figure 119 correspondent aux résultats de la Figure 79. La valeur de la dimension fractale moyenne permet de percevoir une « dynamique d'échelles », c'est-à-dire une dégradation de la dimension fractale en fonction du logarithme de la résolution, tout comme dans le cas de la Figure 79.
Résolution | Nombre de cases |
Dimension fractale moyenne |
Écart-type | Erreur quadratique sur la moyenne |
---|---|---|---|---|
204 | 1 | 1,660 | - | 0,004 |
102 | 4 | 1,468 | 0,116 | 0,058 |
51 | 16 | 1,125 | 0,384 | 0,096 |
25,5 | 44 | 1,028 | 0,286 | 0,043 |
12,75 | 151 | 0,740 | 0,308 | 0,025 |
6,375 | 521 | 0,097 | 0,273 | 0,012 |
3,1875 | 1 111 | 0 | - | - |
1,59375 | 1 371 | 0 | - | - |
Résolution | Nombre de cases |
Dimension fractale moyenne |
Écart-type | Erreur quadratique sur la moyenne |
210 | 1 | 1,690 | - | 0,004 |
105 | 4 | 1,505 | 0,113 | 0,057 |
52,5 | 16 | 1,205 | 0,503 | 0,126 |
26,25 | 43 | 1,187 | 0,364 | 0,056 |
13,125 | 157 | 0,964 | 0,381 | 0,030 |
6,5625 | 569 | 0,594 | 0,503 | 0,021 |
3,28125 | 1 935 | 0 | - | - |
1,64063 | 3 434 | 0 | - | - |
Ce chapitre a une nouvelle fois montré que la dimension fractale « globale » était différente des dimensions fractales « locales ». Le concept de « dynamique d'échelle » est clairement au cœur de l'analyse des résultats des dimensions fractales « locales », tant de la répartition des communes et des hameaux en dépendant, que dans une sous-structure de cet ensemble que représente la répartition des châteaux. De plus, l'étude de la répartition de la dimension fractale « locale » à la limite d'une échelle de coupure permet de proposer une méthode qui identifie de manière objective les centres géographiques d'une structure spatiale d'origine anthropique.
Néanmoins, le maillage choisi est complètement arbitraire. Il ne correspond pas à des territoires au sens géographique du terme. Aussi, le chapitre suivant essayera de proposer une approche territoriale via une dimension fractale « locale » qui, pour ne pas être confondue avec les précédentes, sera appelée « dimension fractale territoriale ».